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Full text of "Le théâtre à Lyon au XVIIIe siècle"

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LYON. — IMPRIMERIE MOUGIN-RUSAND 



EMMANUEL VINGTRINIER 



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THÉÂTRE A LYON 






AU 



XVIIF SIÈCLE 




LYO'H. 

METON, LIBRAIRE-ÉDITEUR 
Rue de la République, }5 



1879 



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AIT AIMÉ VINGTRINIER 



Bibliothécalrc-AJjoint de la Ville de I.yon 



HO!^(0i(AGE T)E SCN. TAXE'K.T ET AfSCI 



EMMANUEL VINGTRINIER 



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LE 



THÉÂTRE A.LYON 



PENDANT LE XVIIl' SIÈCLE 



Ecrire Thistoire du théâtre à Lyon, ce serait suivre, 
dans toutes ses phases, le développement de l'art drama- 
tique en France. C'est au xn* siècle qu'il faudrait remon- 
ter pour trouver les premières traces de jeux scéniques 
dans notre ville. On sait que, plus tard, au temps de 
.Charles VU et de Louis XI, les clercs représentaient les 
beaux mystères dans les églises; le peuple lyonnais était 
si avide de ces spectacles pieux, qu'il abandonnait tout 
pour y assister, même la garde des portes de la ville. Les 
associations laïques qui se formèrent au xv® siècle, sous 
le nom de confréries de la Passion, donnèrent fréquemment 
à Lyon^ sur des théâtres improvisés^ les spectacles des 
histoires dialoguées de l'Ancien et du Nouveau-Testament. 
Nos célèbres imprimeurs du temps nous ont transmis 
plusieurs de ces compositions bizarres et incorrectes, où 
l'on rencontre un si curieux mélange de foi naïve et de 
grossières inventions. 

Mais il n'entre pas dans le cadre de cette çtude de 
remonter aux origines de l'art dramatique à Lyon. Il 
suffira de les rappeler. 









2 LE THÉÂTRE A LYON 

Le premier théâtre permanent que cette ville ait pos- 
sédé, celui de Jean Neyron, construit en 1540, près de 
Téglise des Augustins, et sur lequel furent représentés 
les ouvrages du poète Choquet, fut fermé huit années 
après par le consulat : les moralités tournaient à la farce 
et prenaient un caractère licencieux. Après les guerres 
de religion et jusqu'à la fin du xvii* siècle, aucun spec- 
tacle permanent n'existait à Lyon ; mais les troupes de 
comédiens qui parcouraient la France y faisaient de longs 
séjours. Personne n'ignore, qu'au début de sa carrière, 
Molière vint à diverses reprises avec sa troupe nomade, 
dont la Béjart faisait partie, et que c'est dans une troupe 
de campagne établie à Lyon qu'il recruta les demoiselles 
Du Parc et de Brie (i). 

Excellent acteur, mais encore inconscient de son génie, 
le grand homme jouait des pièces écrites par des auteurs 
de province. A Lyon, il défraya, pendant trois mois, le 
poète d'Assoucy ; Claude Basset, secrétaire de l'archevé^ 
que Camille de Neufville, avocat distingué du barreau 
lyonnais, esprit vif et élégant, écrivit pour Molière sa 
tragédie i'Iréne. Le Théâtre Français du genevois Samuel 
Chappuzeau (2) fut aussi représenté dans notre ville par 
le modeste comédien, qui donnait pour la première fois 
son Etourdi dans une salle de jeu de Paume du quartier 
Saint-Paul. 

Uiie affluence extraordinaire de spectateurs était venue 



(i) Recherches sur tes Tljédires de France de 1161 à 1735, par de 
Beauchamps, p. 366-367. 

(2) Samuel Chappuzeau, historien, poète, traducteur, né à Genève, 
mortàZel en 1701, a séjourné à Lyon où plusieurs de ses ouvrages 
furent imprimés; son Théâtre français le fut en 1674. — Reime du 
Lyonnais^ V. 321 : Biograph, univer,; Ménestrier, Divers caract. p. 271 ; 
Barbier, Anonymes. 



1 












LE THÉA'iRE A JLYCtt^ 5 

applaudir Molière. Le peuple l'avait deviné, peut-être 
avant qu'il se fût connu lui-même. Son séjour à Lyon et 
les souvenirs qu'il y laissa donnèreïit une impulsion nou- 
velle au goût dramatique, et l'exemple du poète-comédien 
ne fut probablement pas étranger au développement qu'y 
prirent les vocations théâtrales (i). 



I 

L'Opéra à Lyon — L'Académie royale de musique. — La salle de 
la rue du Garei — La salle de Bellecour. — Le théâtre du Gouver- 
• nement — Direction de Legay et de M^ic Desmarest. 

Après l'introduction de l'opéra français à Paris, due 
à un Lyonnais, Pierre Perrin, connu sous le nom d'abbé 
Perrin, quoiqu'il ne le fût pas (2), ce genre de spectacle 
ne tarda pas à se répandre à Lyon et ne cessa d'y jouir 
de la faveur publique. 

A la fin du xvii^ siècle, un sieur Legay obtint d^s 
lettres patentes qui lui conféraient le titre de directeur 
de V Académie royale de musique à Lyon et le privilège 
d'y donner des représentations théâtrales. Le consulat, 
pour soutenir cett^ entreprise, conféra au sieur Legay 



(t) Plusieurs études fort intéressantes ont été écrites sur le séjour 
de Molière à Lyon. La plus complète est celle publiée par M. Brou- 
choud, avocat à la cour de Lyon : Les origines du théâtre de Lyon, 
mystères, farces et tragédies, troupes ambulantes Molière, avec fac- 
similé, Lyon, Scheuring, 186$. On peut consulter aussi un impor- 
tant travail publié en 1877, par M. Jules Loiseleur, sur les Points 
obscurs de la vie de Molière, 

(2) Pierre Perrin, né à Lyon, introducteur des ambassadeurs au- 
près de Gaston, duc d'Orléans, est le premier en France qui eut le 
privilège d'établir un opéra (le 28 juin 1659.) ^^ composa des opéras 
et des poésies diverses, et mourut à Paris en 1680. — V. Biogr. univ. 



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4 LE THÉÂTRE A LYON 

une pension de douze cents livres (i). On voit que le sys- 
tème des subventions n'est pas créé d'hier. 

La troupe lyrique s'installa d'abord dans une maison 
de la rue du Garet. Ce local fut consumé trois fois par 
des incendies ; et, en 1689, les missionnaires de Saint- 
Joseph, dont le couvent était tout près de là, effrayés du 
danger permanent qui résultait de ce voisinage, s'op- 
posèrent au rétablissement de ce théâtre. 

L'opéra se réfugia alors provisoirement dans une mai- 
son de la place Bellecour. Ce fut là, sans doute, qu'on 
joua, en 1690, l'opéra de Didon (2); en 1694, la Rtie Mer- 
cière ou les maris dupéSy comédie en vers de Legrand, 
et, en 1699, les Comédiens de campagne (3), pièce qui 
était encore toute d'actualité. 

Au mois d'avril 1701, la ville donna des fêtes et des 
illuminations en l'honneur du duc d'Anjou et de ses frères, 
les ducs de Bourgogne et de Berrj', qui revenaient de 
Savoie. Le 9, les princes furent conduits au spectacle 
et assistèrent à la représentation de Phaéion. Le 10, on 
joua l'Europe galante^ avec un prologue dont le sujet 
était l'union de la France et de TEspagne; cet ouvrage 
lit tant de plaisir qu'on le rejoua le lendemain (4). 

Des troupes d'acteurs italiens passaient souvent à Lyon 
depuis le jour où Henry IV en avait fait venir pour les 
fêtes de son mariage avec Marie de Médicis. Le 13 juillet 
1703, une troupe italienne, installée dans la salle de 



(i) Clerjon et Morin, Histoire de Lyon, t. VI, p. 260 à 263. 

(2) Didon, tragédie en musique, Lyon. Thomas Amaulry, 1690 
(dtalogue de la bibliothèque Coste, par Aimé Vingtrinier, 2 vol. 
in-8). 

(3) Lyon, chez Roux^ 1699, (répertoire lyonnais, fonds Coste). 

(4) V. Clerjon, Hist, de Lyon, t. VI, p. 249. 



LE THEATRE A LYON 5 

Topéra de Bellecour, donna La vengeance de Colombinc 
ou Arlequin heau^frère du grand TurCy avec la parodie 
de l'opéra de Tancrède (i). 

Le goût de nos voisins avait déjà chez nous des imi- 
tateurs et la farce italienne se montrait sur nos théâtres 
depuis les scènes bouffonnes que Molière avait interca- 
lées dans quelques-unes de ses comédies : c'est ainsi que 
les comédiens du duc de Lorraine représentèrent à Lyon, 
en 1704, Le mari sans femme ou don Brusquin Dalvaradey 
comédie en cinq actes^ ornée de musique, danses et inter- 
mèdes, par Montfleury (2). La salle Bellecour servit en- 
core à la représentation de quelques-unes des pièces de 
l'avocat Barbier, dont le recueil était fort curieux : la 
troupe du sieur Dominique y donna, pour la première fois, 
le 18 août 1710^ V Heureux naufrage^ et, le 4 octobre 
suivant, les Soirées d'été (3). 

Mais, à cette époque, Bellecour n'était pas un endroit 
central: en hiver surtout, les spectateurs qui allaient 
à pied étaient obligés, après la représentation, de traver- 
ser, pour rentrer chez eux, des rues tortueuses et mal 
éclairées. L'Opéra fut transféré dans la rue Saint-Jean, 
à côté de l'hôtel du Gouvernement. 

Dès le 9 février 1707, Barbier fit jouer dans ce local 
les Eaux de mille fleurs, comédie-ballet. Le goût de la 
province était encore pour longtemps enchaîné aux rives 
du Tendre. On s'étonne, lorsqu'on relit le Mercure galant 
qui sj publiait à Lyon, de voir combien on raffolait, à la 
fin du XVII* siècle, des fadaises qui s'imprimaient dans 



(1) Recherches sur les théâtres, t.III.p. 197. 

(2) Lyon, Langlois, 1704, fonds Coste. 

(3) Recherches sur les théâtres, t, U, 496, et III, 168. — Répert. 
lyonnais. Coste* 



6 LE THÉÂTRE A LYON 

ce recueil, La mythologie, les bergers et les bergères du 
temps de VAstrie avaient repris uue nouvelle jeunesse 
parmi le beau monde. La recherche des énigmes propo- 
sées par le Mercure était devenue la grande occupation 
des femmes d'esprit. On écrivait au rédacteur de ce jour* 
nal : 

« Vous avez tellement rendu à la mode le Genre éni^ 
gptatiqtcey qu'on s'en sert à tout. Si un galant veut faire 
une déclaration à une belle, il ne saurait s'empêcher 
d'employer ce style dans son madrigal; et s'il la veut 
consoler de quelque perte, la violence de sa passion ne 
l'engage pas plus fortement à lui dire quelques mots de 
sa peine en la consolant, que la mode ne le pousse à lui 
en parler en énigme (i). » 

Un autre correspondant, non moins enthousiaste, ex- 
primait en ces termes son sentiment : 
^ « Vous ne saiiriez croire combien la lecture de ce livre 
a dérouillé et dérouille tous les jours d'esprits dans les 
provinces. On se raffine insensiblement le goût en exa- 
minant les beautés des pièces choisies que l'on y trouve.; 

» 

et les esprits se subtilisent par les divers tours qu'ils sont 
obligés de se donner pour trouver le mot de l'énigme. » 

On voit, d'après ces extraits, que les épigrammes de 
Molière n'avaient pas seulement un intérêt rétrospectif 
et qu'ils s'attaquaient à des ridicules encore vivants. 

D'ailleurs, pour revenir à l'avocat Barbier, il est juste 
de dire qu'en homme d'esprit qu'il était, il ne s'enfermait 
pas dans le genre maniéré et qu'il écrivait en auteur 
fantaisiste, en amateur, plutôt qu'en homme du métier, 



(i) L Extraordinaire du Mercure galant ^ imprimé à Lyon, chez 
Thomas Amaulry, rue Mercière, t. I, lettre X. -^ (2) Id. t. I, lettre 



LE THÉÂTRE A LYON 7 

n'écoutant que sa verve. Nous en trouvons la preuve dans 
sa comédie d^ Y Opéra interrompu ^ qui fut jouée en juil- 
let 1707, par les comédiens italiens privilégiés du duc de 
Viileroy. L'Académie Royale de musique représenta aussi, 
dans la salle du Gouvernement, le 8 février 1708, la Fausse 
alarme de VOpéray comédie de M. Abeille, et en 17 li, 
La Promenade des Terreaux à Lyon^ sorte de comédie- 
revue en trois actes et en prose, cotnposée par Dominique 
dont le vrai nom était Pierre-François BiancoUelli (i). 

Le nouveau local était lui-même assez défectueux; 
l'espace y était trop étroit. Le procureur général de la 
ville, Prost de Grange-Blanche, apportant ses lettres au 
consulat, énutnéra les avantages d'un spectacle public 
«qui attire les étrangers, occupe honorablement la jeu- 
nesse, délasse les gens d'affaires et augmente les revenus 
de cette communauté pair une plus grande consommation 
de denrées et marchandises; » Il fit valoir surtout la vo- 
lonté du maréchal de Viileroy, qui voulait avoir ses co- 
médiens ordinaires dans sa vice-royauté, quand il lui 
plairait d'y tenir sa cour. Le consulat, sous l'empire de 
ces hautes influences, eut l'idée, en 1709, de faire cons- 
truire la salle de spectacle près du port de la Feuillée et 
d'en remettre gratuitement l'usage au directeur (2). Ce- 
pendant, il finit par s'arrêter encore à une combinaison 
provisoire. 

Par une délibération du 23 mars 1713, il autorisa la 
démolition d'une maison contiguë à l'hôtel du Gouverne- 
ment, pour l'agrandissement de la salle d'Opéra, et les 
travaux furent adjugés à un* sieur François Cotte, moyen- 



Ci) Répert. Lyonnais (fonds Coste). 
(2) Clerjon, Hislf de Lyon, loc. çitat, 



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8 LE THÉÂTRE A LYON 

nant le prix de 15,200 livres (i). Ce fut dans cette salle 
ainsi aménagée que fut jouée, en 1722, une tragédie d'Œ- 
dipCy due, suivant toutes vraisemblances, au père Folard, 
professeur au collège de la Trinité et membre de l'Aca- 
démie de- Lyon, qui composa vers le même temps plusieurs 
ouvrages dramatiques (2). Ce fut. là aussi, qu'au mois 
d'avril 1720, la duchesse de Modène, fille du Régent, 
étant venue passer quelques jours à Lyon, fut conduite au 
spectacle par l'archevêque Monseigneur de Rochebonne 
qui faisait à cette princesse les honneurs de la ville (3). 
Ce détail prouve bien qu'au commencement du xvm* 
siècle et au contact d'une cour licencieuse, l'Eglise elle- 
même s'était départie du rigorisme qu'elle avait montré 
sous le dernier règne à l'égard de Molière et des gens de 
théâtre. 

La salle de l'Opéra fut incendiée, le 8 juin 1722, par 
l'imprudence des comédiens italiens qui y avaient laissé 
du feu après le spectacle ; elle n'en fut pas quitte pour 
une « fausse alarme » et fut entièrement brûlée, si bien 



(t) Un acte de vente de Thôtel du Gouvernement porte ce qui suit : 
« Ledit feu seigneur maréchal de Villeroy ne fit l'acquisition de la 
maison de ladite dame Pramiral que pour la commodité du public 
et servir à V agrandissement de la salle des spectacles qui était 
dans ledit hôtel du Gouvernement, ainsi qu*il a été reconnu par la 
délibération consulaire du 23 mars 171 3, en exécution de laquelle la- 
dite maison fut démolie et toutes les constructions nécessaires faites 
pour augmenter l'étendue de la salle qui a été depuis incendiée par 
l'imprudence dits acteurs » {Revue du Lyonnais 4c série, t. V, Janvier 
1878, p. 52 et S 3)' — Tablettes chronologiques, par M. Péricaud. 

(2) Folard (François Melchior), jésuite, né à Avignon le S octobre 
168$, mort à Lyon le 19 février 1739. •— Repert. Lyonnais. 

(3) Rev, du Lyonnais, 2* série, t. III, Petite chronique lyonnaise du 
XVIIIe siècle, par M. Morel de Voleine, tirée de la correspondance 
d'un magistrat avec un gentilhomme du Beaujolais. — Mgr de Roche- 
bonne mourut en 1740. 



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LE THÉÂTRE A LYON 9 

qu'au mois d'août de l'année suivante, il se produisit un 
éboulement dans la voûte des écuries du Gouvernement 
qui se trouvaient au-dessous. Toutefois, le théâtre fut 
relevé aussitôt. Legay et mademoiselle Desmarets, qui, 
depuis 17 16, étaient chargés ensemble de la direction 
du théâtre, reçurent .du consulat une somme de 800 
livres à titre d'indemnité pour la perte du matériel (i); 
et le 5 novembre 1723, une troupe de comédiens italiens 
s'y installa pour une série de dix représentations (2). 

Des réjouissances extraordinaires eurent lieu en sep- 
tembre 1725 pour le mariage du roi, et, quatre ans après, 
à l'occasion de la naissance du Dauphin, dont la nour- 
rice était de Lyon (3). Ces fêtes, qui attirèrent des 
étrangers, eurent sans doute un écho sur notre scène; 
mais le spectacle était surtout au-dehors. C'était le 
temps des feux d'artifice sur l'eau et des illuminations; 
dans le grand monde, on étalait les splendeurs de la 
pyrotechnie comme une mode et un luxe de bon ton; 
dans le peuple, qui est toujours passionné pour les fêtes, 
on en délirait. La ville fit alors des profusions de fusées 
et des excès de lampions. 

Le Jubilé de 1727 succéda aux réjouissances nationa- 
les. Le théâtre fut fermé rigoureusement pendant toute 
la durée de ce deuil religieux, et mademoiselle Desma- 
rets, devenue seule directrice du spectacle, reçut, à ce 
titre, du consulat une indemnité de cinq mille livres (4). 

L'année suivante, les représentations reprirent leur 
cours; mais la salle du Gouvernement redevint, une 



(i) Tablettes chron, par M, Péricaud. 

(2) Petite chronique Lyonnaise eod. loc. p. 186. — (4) eod. loc. 

(3) Petite chronique lyonnaise, eod. loc. p. 362. 

(4) Petite chronique lyonnaise, eod. loc, p, 186. 



10 LE tHÉATRE A LYON 

seconde fois, la proie des Aammes. Le consulat crut 
devoir choisir un autre local. 

On comprend qu'au milieu de tant d^épreuves, notre 
scène ne pouvait avoir dans ce temps*là ni le confortable 
ni les artistes distingués qu'elle posséda plus tard^ 
Comédiens et directeurs vivaient au jour le jour; c'est 
avec des prodiges de courage qu'ils parvenaient à soute- 
nir leur entreprise, la subvention était dérisoire et la 
générosité de 'quelques amateurs ne produisait que des 
sommes relativement minimes. Il est curieux de connaî- 
tre l'impression qu'une femme du monde avait gardée 
d'une soirée passée, vers cette époque, au théâtre de 
Lyon î 

« Nous fûmes toute une bande à l'Opéra, dit M"* du 
Noyer, et nous y arrivâmes fort à propos pour aider à 
ces pauvres gens à en payer les frais, car la foule n'y 
est pa^ ordinairement fort grande. Mais aussi qu'est-ce 
que c'est que cet opéra? On jouait BeUérophoriy et Bac- 
chus et Pan parurent, chacun un manche à balai à la 
main. Les machines montraient la corde, les habits des 
acteurs étaient des plus crasseux et l'orchestre répondait 
parfaitement à la magnificence du théâtre » (i). 

Malgré le ton d'ironie dédaigneuse avec lequel l'auteur 
des Lettres historiqms et galantes s'exprime sur une scène 
deprovinUy il est facile de démêler dans cette appréciation 
la part de la vérité. 



(i) Mnïcda Noyer, Lettres historiques et calantes, t. 174, t. II p. 196, 



LE THÉÂTRE A LÏOK It 



II 



Le Théâtre des Terreaux. — L'Académie des Beaux- Arts et le Con- 
cert des Cordeliers. — Les nouveaux directeurs : Maillefer, Monnet, 
Préville. — Le Carnaval de 1750. — Artistes Lyonnais. — Le plan 
de Soufflot. 



L'opéra fut installé, en 1728, dans une maison, ser- 
vant de jeu de paume, que la ville avait acquise d'un 
sieur Bron et qui était située sur la courtine du Rhône, 
derrière le jardin de THôtel-de-Ville (i). C'était encore 
mn établissement provisoire; le consulat voulait attendre 
d'avoir les ressources nécessaires pour construire une 
scène digne de la ville de Lyon. 

Le théâtre traversait une crise. On y jouait rarement 
la comédie, parce qu'il ne s'y trouvait, au dire d'un 
contemporain, « que des libertine et des filles de joie. » 
Mademoiselle Desmarets, qui avait encore le privilège de 
Topera, tâchait de faire des recettes pendant le carna- 
val en substituant aux représentations dramatiques deux 
grands bals par semaine ; l'entrée coûtait trois livres (2). 

D'ailleurs, le public choisi se laissait détourner par 
d'autres spectacles. On avait loué, près du port de la 
Feuillée, un appartement où des jeunes gens et des demoi- 
selles de moins de douze ans se réunissaient deux fois 
par semaine pour représenter la tragédie et la comédie. 
On n y entrait qu'avec des billets distribués par les pa- 
rents des acteurs, « qui, en général, avaient du talent, » 



(i) Clerjon, loc. chat. 

(2) Petite chron. Lyon, 8 janvier 1735, p. 192. 



12 LE THÉÂTRE A LYON 

dit naïvement le chroniqueur (i). Les Jésuites du Grand- 
Collège faisaient aussi jouer par leurs élèves, en présence 
des familles, des pièces composées par les Pères de Tordre. 
Ils allèrent jusqu'à faire exécuter devant le Consulat, le 
20 Mai 1742, jour de la Trinité, un ballet qui avait pour 
sujet : La Folie et la Sagesse (2).... 

Mais le beau monde affectait un goût plus épuré. 

Il allait au concert. 

duelques amateurs avaient fondé, en 17 13, sous le 
nom ai Académie des Beaux-Arts, une société pour don- 
ner des concerts et, singulière association, tenir des 
conférences sur la physique, les mathématiques et les 
arts. Les séances eurent d* abord lieu sur le quai Saint- 
Clair. 

On y avait chanté, le 25 mai 1718, devant le marquis 
d'Halincourt, à son retour de la guerre de Hongrie, le 
Retour de Pyrrhus Néoptolème en Epire , après le siège 
de Troyey idylle héroïque (3). En 1724, la société avait 
été autorisée, par lettres patentes, à élever une salle de 
concert sur la place des Cordeliers, à côté de l'église de 
ce nom, qui possédait un orgue pour la confection du- 
quel la ville avait donné cent écus, en 1592, et qui avait 
eu pour organiste le célèbre Jean-Louis Marchand, 
plus tard organiste à la chapelle du Collège Louis-le- 
Grand (4). 

Cet édifice, construit dans le goût italien, sur les dessins 
de l'architecte milanais Pietra-Santa, renfermait, outre 



(i) Id. 3 février 1754» P« 409- 

(2) Tablettes chronologiques, 

(3) Recherches sur les Théâtres de France j t. III, p. 197. 

(4) Jean-Louis Marchand, qui passe pour avoir été le plus grand 
organiste qu'il y ait jamais eu, naquit à Lyon^ le 2 février 1669, et 
mourut i Paris, le 17 février 173^, 



LE THÉÂTRE A LYON 1$ 

la salle destinée au concert, une bibliothèque et d'autres 
lieux de réunion pour l'Académie des Beaux- Arts (i). 

Cette société, composée de trente membres : artistes, 
savants, littérateurs, compta dans son sein des noms 
célèbres, malgré le mot de Voltaire qui disait d'elle 
malicieusement : « C'est une honnête fille, qui ne fait pas 
parler d'elle. » 

Les concerts avaient lieu tous les mercredis, à cinq 
heures du soir. Les étrangers qui passaient à Lyon y 
étaient admis soit comme auditeurs, soit comme exé- 
cutants, et des amateurs de distinction s'y faisaient ap- 
plaudir par l'élite de la société ; le dilettantisme devenait 
à la mode. Toute la noblesse courait entendre des sym- 
phonies. 

La salle du concert et ses dépendances furent cédées 
à la ville, en 1741 ; dès lors, la société vécut sous la pro- 
tection du duc de Villeroy et sous la direction du prévôt 
des Marchands (2). 

Tandis que le public subissait l'attrait de cette nou- 
veauté, l'opéra battait de l'aile. Mademoiselle Desmarets 
se soutint quelque temps par les générosités et les sacri- 
fices de Camille Perrichon, prévôt des Marchands, chez 
qui Louis Racine, alors directeur général des gabelles 



(i) Les séances de TAcadémie des Beaux- Arts se tenaient une fois 
par semaine. Il y avait chaque année deux assemblées publiques : la 
première eut lieu le 2 décembre 1737 (Voir Chron, Lyon» loc. cit. p. 
196). Le !«»• juin 1748, l'Académie obtint des lettres patentes particu- 
lières qui la séparaient de la Société du Concert et lui permettaient de 
s'assembler sous le nom de Société royale. 

{2) Lyon ancien et moderney t. II, Grand-Théâtre. — Fragments sur 
Lyon, par M. Morel de Voleine: Revue du Lyonnais^ t. XIX, 3« série, 
février 1875. 



14 i-E THÉÂTRE A LYON 

de Lyon, faisait des lectures de son poème de la Rcli^ 
gion[i). 

. Mais cette femme n'avait ni le talent, ni Tordre néces- 
saire à une semblable entreprise. Elle faisait trop de 
dépenses pour sa table et ses plaisirs. Sa retraite, deve- 
nue imminente, eut lieu vers 1733; elle laissa la direc- ] 
tion en fort mauvais état (2). 

Maillefer, qui lui succéda, ne fut guère plus heureux au 
point de vue commercial. D voulut soutenir Topera, pen- 
dant plusieurs années, dans la plus grande magnificence, 
quoiqu'il sût fort bien « qu'un opéra ne pouvait pas se 
soutenir dans la province sans être à la charge de ceux qui 
ien mêleraient (3) » 

Du moins, ce directeur comprit ses fonctions en véri- 
table artiste et sacrifia son intérêt personnel à celui du 
public. Pendant les années qui s'écoulèrent de 1738 à 
1745, notre Opéra donna tout le répertoire de TOpéra 
de Paris. TAcadémie royale de musique joua, en 1739, le 
Ballet de la Paix et le Ballet des SenSy Issey pastorale 
héroïque, Jephté, Omphaky de Lamothe et Destouches, 
Vénus et Adonis (4). 

Cette année-là, le président de Brosses, dilettante en 
toutes choses, passant à Lyon pour se rendre en ItaUe, 
se montra très-satisfait de la salle de TOpéra, des chan- 



(t) Louis Racine avait épousé, en avril 1728, une Lyonnaise, Marie 
Presle, fille de Pierre Presle, seigneur de Cussieu et d*Unias, secrétaire 
du roi et échevin en 17 10. Racine quitta Lyon en 1732, pour aller exer- 
cer les mêmes fonctions à Soissons. Il fut reçu comme associé de l'Aca- 
démie de notre ville. 

(2) Archives de la ville de Lyon, 5érie DD, Théâtre, Projet pour 
rétablissement du spectacle de Lyon, Observations des Actionnaires. 

(3) Idem. 

(4) Répertoire lyonnais (Biblioth. Coste). 



LE THÉÂTRE A LV6N 1$ 

teurs et des danseuses. Mais là comme à Âix, où les 
femmes étaient absorbées par le ]tn, comme à Avignon 
et à Marseille, l'indifférence du vrai public étaif encc^re 
bien grande (i). 

Au nombre des opéras-ballets qui furent exécutés à 
Lyon, sous la direction de Maillefer, il faut citer Tancride, 
de l'académicien Danchet ; Us Fêtes grecques et romai-' 
nés, ballet héroïque ; AjaXy Amadis de Grice ; les Amours 
de Protie, Armide^ Hypermnestrey Pbilomile, Hippolyte et 
Ariciey de Rameau ; le ballet des Itomans et les Amours de 
Ragonde (2). 

Maillefer, ruiné par les frais considérables qu'avait 
entraînés Texécution d'un répertoire si variée fut rempla- 
cé, en 174s 5 par Jean Monnet, homme d'esprit, presque 
Lyonnais de naissance (3), auteur de plusieurs ouvrages, 
éditeur de Y Anthologie Française, qui avait été déjà di- 
recteur de rOpéra-Comique à Paris, en 1743, et qui le fut 
de nouveau en 1752, après son court séjour à Lyon. Per* 
suadé qu'il ne pourrait se soutenir uniquement par Tope- 
ra, Monnet y joignit six ou sept bons sujets pour jouer, 
alternativement avec l'opéra, des comédies et des opéras 
comiques. Cette combinaison était excellente. Mais M* 
de Varax, prévôt des marchands, qui n'entrait pas dans 
les vues du directeur, le priva de ses fonctions poiu: les 
remettre entre les mains d'un acteur, sous les ordres 
d'un sieur Breton, qui ne semblait point avoir les qualités 
convenables pour cette entreprise (4). 



(1) U Italie il y a cent ans ou Lettres écrites d'Italie, Paris. 1826» t. i«% 
p. 3, 28, 38. 

(a) Répert. lyonnais. 

(3) Kéà Condrieu (Rhône), il mounità Paris en 178$. 

(4) Arch. de la ville, loc. citât. 



ï6 LE THÉÂTRE A LYON 

L'acteur dont il s'agit n'était autre que le jeune Dubus, 
déjà connu sous le nom de Prévilk qu'il allait bientôt ren- 
dre célèbre (i). C'était le fils d'un maître tapissier* La sé- 
vérité de son père Tayaiit poussé à fuir de la maison, 
il avait été recueilli par un moine, dom Népomucène, 
qui l'avait recommandé à son frère, M. de Vaumorin. 
Celui-ci avait pourvu généreusement à l'éducation du 
jeune homme et l'avait placé, à l'âge de dix-sept ans, chez 
un procureur au Châtelet. Toutefois, à la mort de son 
protecteur, Dubus s'était engagé dans une troupe de cam- 
pagne et avait joué successivement à Strasbourg, à Dijon 
et à Rouen. Monnet^ qui dirigeait alors l'Opéra de Paris, 
l'avait engagé pour la foire de Saint-Laurent, sur le bruit 
de sa réputation naissante, et l'avait fait débuter le 8 juin 
1743 ; mais Dubus avait bientôt quitté Paris pour ve- 
nir remplir le premier rôle au théâtre de Lyon (2). Il 
pouvait avoir environ vingt-six ans. 

C'était un acteur très varié, doué de beaucoup 'de goût, 
qui j oignait au profond sentiment de ses rôles l'art de 
bien dire les vers. Il étudiait sans cesse et, quoique fort 
jeune, son répertoire était déjà très étendu. La troupe 
de Lyon ne pouvait que profiter sous l'influence d'un es- 
prit vif et enthousiaste comme celui-là. 

Nous n'avons pas retrouvé trace des pièces nouvelles 
qui furent jouées de 1746 à 1730. Cependant, le beau 
monde reprenait le chemin du théâtre et la direction fai- 



(i) Pierre-Louis Dubus, dit Préville^ né à Paris le 19 septembre 1721 , 
mort à Beau vais le 18 décembre 1799. « Pré ville est admirable pour la 
pantomime ; il est acteur jusqu'au bout des doigts, ses moindres gestes 
font épigramme. Il charge avec tout l'esprit possible, c'est le Callot du 
théâtre. » {Mémoires secret^ de Bachaumont, 30 janvier 1762). 

(2) Nouvelle Viogr, génér. 



LE THÉÂTRE A LYON 17 

sait salle comble. Il était de bon ton d'arriver avec une es- 
corte de valets de pied ; c'était une façon d'étaler sa for- 
tune et ses quartiers de noblesse. Mais, comme ce public 
parasite occupait une place précieuse et causait du tu- 
multe pendant les représentations, une ordonnance du 
duc de Villeroy, en date du 7 juin 1746, défendit aux 
gens de livrée d'entrer aux spectacles, sous peine de pri- 
son, et d'arracher les affiches desdits spectacles sous peine 
d'amende et de prison (i). 

En 1748^ le consulat, qui ne s'était guère montré pro- 
digue jusqu'alors, se décida à accorder à la direction des 
spectacles une subvention annuelle de cinq mille livres (2). 

C'était encore bien mesquin; toutefois, cette augmenta- 
tion de crédit témoignait de l'importance que notre théâtre 
prenait de jour en jour. 

Le carnaval de 1750 jfut particulièrement brillant. 
L'Opéra donna chaque semaine quatre représentations et 
deux grands bals. On joua Rolandy l'Europe galante^ la 
Provençaky VActe du Jaloux , la Chercheuse d'esprit , 
l'Amour saltimbanque; Mademoiselle Sélim remplit avec 
succès le rôle de Médée dans Médée et Jason et Mademoi- 
selle Cartaud celui d'Iphigénie dans Iphigénie en Tauride. 
On ne négligeait pas le ballet : Cuchet et Mademoiselle 
Pachot dansaient la pantomime du Bouffon de cour; 
Mademoiselle Camargo, la célèbre danseuse de l'Opéra de 
Paris (3), qui ruina tant de seigneurs et amusa si long- 
temps la cour et la ville, exécutait avec Guérin la pan- 



(1) Jusqu'en 1790, les affiches du Grand-Théâtre commençaient ainsi : 
Les Comédiens de Mgr le duc de Villeroy donneront aujourd'hui, etc, 

(2) Tablettes cJjronologiques, 

(3) Marie- Anne Cuppi, dite Camargo, née à Bruxelles en 17 10, est 
morte à Paris en 1770. 

2 



l8 LE THEATRE A LYON 

tomime du Jardinier^ et- Mademoiselle Anselin la Hollan- 
daise (i). 

La clôture du théâtre eut lieu le 2 1 mars, et, comme 
on ne savait guère plus se passer de spectacle, des con- 
certs spirituels occupèrent l'attention des mondains pen- 
dant les vacances de l'Opéra. 

Les comédiens (2) firent la réouverture, le 6 avril, par 
Rhadamiste et Zénobie, tragédie de Crébillon, et VEs^ 
prit de contradiction ^ de Dufresny. « Ces deux pièces furent 
jouées avec un succès et un applaudissement général, 
dit le chroniqueur ; les partisans de Thalie doivent se 
réjouir. L'on dit cette troupe bonne et composée des meil- 
leurs sujets de la province ; le sieur Pré ville, chef et di- 
recteur, comédien accompli en son genre, en est un sûr 
garant (3). » 

En effet. Préville sut faire la réforme que Monnet avait 
tentée en vain. Il parvint à introduire sur notre scène 



(i) V. les affiches de Lyon, année 17SO, feuille paraissant tous les mar- 
dis. — La foire de Saint-Germain avait attiré aussi des baladins, des 
sauteurs de corie, parmi lesquels on distinguait V Etoile italienne et 
V Arlequin squelette. Le Point du Jour, tableau mouvant, était établi à 
poste fixe dans un jeu de paume de la chasse royale, rue du Bœuf, et 
plus tard place des Terreaux. « Les arts libéraux et méchaniques en co'm- 
posaient les deux côtés par une centaine de figures dont les mouvements 
variés et contraires étaient produits par une même force ; on y voyait 
un coq chantant et battant des ailes, une aurore, un soleil levant, une 
pluye, des éclairs, des tonnerres, etc. — Au milieu de ce tableau 
était représentée la Nativité de N.-S. Jésus-Christ, les Anges, les Ber- 
gers, les Mages ; tout ce qui concourut à la célébrité de ce grand jour 
faisait la base et l'ornement de cette pièce, qui était suivie, sur la fin, 
tantôt de la représentation de quelque fait de l'ancienne loi, tantôt 
de quelque mystère de la nouvelle. » 

(2) C'est la première fois qu'on dit « les Comédiens » au lieu de 
« l'Académie royale de musique, » 

(3) Affiches de Lyon, 1750. 



LE THÉÂTRE A L\?ON I9 

les meilleures pièces du répertoire comique et dramati- 
que, qu^on jouait alternativement avec Topera. Cinna et 
.Bajazet, Tartufe et le Menteur, Electre et Zaïre ^ Enée 
et Dîdon tinrent TafEche à côté de Démocrite et du Retour 
imprévu^ du Légataire universel et du Philosophe ma- 
rié, du Jeu de V Amour éî du Hasard^ de Crispin rival 
de son Maître et de vingt autres pièces non moins célè- 
bres (i). Corneille et Racine, Molière et Regnard, Lésa- 
ge et Marivaux, Voltaire et Crébillon, tous ces grands 
noms, toutes ces grandes œuvres produites au grand jour 
dans Tespace de quelques mois, excitaient un immense 
enthousiasme ; c'était une série de révélations pour le 
peuple lyonnais, dont l'esprit observateur et délié se plie 
aisément à Tétude d'un caractère et aux combinaisons 
d'une intrigue. 

Les Lyonnaises, « qui aimaient beaucoup à être aimées 
de leurs maris (2), » se pressaient à la représentation 
du Préjugé à la mode, de la Chaussée, pièce morale s'il 
en fut jamais, qui avait obtenu à Paris un grand succès 
de vogue et combattait le préjugé qui faisait une honte 
aux grands de montrer une passion bourgeoise pour leur 
femme. Les Lyonnaises se pressaient au ballet pantomime 
des Chasseurs et des Vendangeurs, dansé par la Camargo 
et par le fameux Noverre (3), aux pirouettes de M"^ 
Lany, de l'Opéra de Paris^ et à celles de Bodin et de M"'' 



(i) Affiches de Lyon, 1750. 

(2) Rev. du Lyonnais, t. VI, 4e série, juillet 1878, Journal des Nou- 
velles de Paris de 1734 à 1738, p. 34. 

(3) Noverre (J.-G.). célèbre compositeur de ballets; né à Paris en 
1727, il y est mort en 18 10. Il enrichit presque tous les théâtres de 
l'Europe de nombreuses compositions dont plusieurs eurent un immense 
succès. On a de lui des Lettres sur les arts imitateurs et sur la danse 
en particulier, 1807, 2 vol in-80. 



20 LE THEATRE A LYON 

Geoffroy, pensionnés par la cour de Turin. Elles cou- 
raient aux débuts de M"* Froment, dans Iphigéniây aux 
concerts des Italiens Chinzer et Vestri, musiciens du duc 
de Modène, à ceux des Allemands Rucker et Héricourt, 
aux arlequinades des sauteurs de corde et aux feux d'ar- 
tifice de Prospero Toscani, le Ruggieri de ce temps-là (i). 
Au milieu des soucis de sa direction, Préville avait 
trouvé le temps de se marier. Sa femme, Madeleine- 
Michelle-Angélique Drouin (2), était entrée comme lui 
au théâtre de Lyon et s'était faite comédienne par 
circonstance. Pendant trois ans , l'entreprise ne 
cessa de prospérer. La renommée du jeune directeur 
s'était rapidement accrue^ son talent avait atteint sa 
maturité et sa perfection. A la mort d'Arnould Poisson, 
en 1753, Pré ville fut appelé à Paris pour le remplacer; 
ses débuts dépassèrent toutes ses espérances, et ses 
succès furent prodigieux. Dès lors, il n'appartint plus 
à la ville de Lyon ; mais, pendant les trente-trois ans 
qu'il passa encore au théâtre, il reparut à plusieurs 
reprises sur la scène qui l'avait formé. 

Préville n'est pas le seul grand artiste que Lyon ait 
envoyé dans ce temps-là aux théâtres de Paris. Sans 
parler des compositeurs Leclair (3) et Dezaides, on en 
compte plusieurs que nous ne pouvons passer sous 
silence. Marie Antier, qui fut si longtemps la reine de 
l'Opéra, et qui, à l'âge de quarante-huit ans, chantait 



(i) Affiches de Lyon. 

(2) Néeau Mans,le 17 mars 1731, morte à Senlis, le 7 mai 1794, elle 
débuta, en 1753, au Théâtre-Français, où elle ne fut pas admise.— V. 
Nouvelle hiograpHe générale, 

(3) Jean-Marie Leclair, fondateur de la première écol^e de violon en 
France, né à Lyon, en 1697, fut assassiné à Paris, le 22 octobre 1764. 



LE THÉÂTRE A LYON 



21 



encore comme à quinze ans, était née à Lyon en 1687 (i). 
Une autre Lyonnaise, Françoise Journet, avait débuté 
en avril 1705, à TOpéra de Paris, où elle était devenue 
première actrice (2). 

Une célèbre comédienne du Théâtre-Français avait 
donné au monde l'exemple d'une conversion qui rappe- 
lait celles des grandes pécheresses du xvii* siècle. A la 
suite d'une messe qu'elle avait eu la fantaisie d'entendre 
à l'occasion de l'anniversaire de sa naissance, M"® Gau- 
thier avait quitté la scène pour venir, au couvent de 
TAntiquaille de Lyon^ prendre Thabit des Carmélites, le 
20 janvier 1725, sous le nom de sœur Augustine de la 
Miséricorde. La nouvelle convertie était grande et bien 
faite, dit Duclos, et son teint avait de la fraîcheur. Elle 
faisait des vers passables et peignait très-bien en minia- 
ture; on raconte qu'elle était douée d'une telle force, 
qu'elle ployait entre ses doigts une assiette d'argent, 
comme elle eût ployé une oublie. Sans rien perdre de 
sa gaîté naturelle, M"* Gauthier devint une des plus 
ferventes religieuses du couvent. Le bruit qui s'était 
fait autour d'elle et le charme exquis de sa conversation 
lui attiraient sans cesse de nombreux et d'illustres visi- 
teurs, qui ne se lassaient pas d'admirer le rare spectacle 
de tant d'esprit uni à tant de vertu. La sœur Augus- 
tine vécut trente-deux ans dans son cloître, et mourut 
le 28 avril 1757, entourée de la vénération de la ville 
entière (3). 



(i) Elle mourut à Paris le 3 décembre 1747. — Pemetti, II, 331. — 
Revue du Lyonnais, Journal des nouvelles de Paris, loc. cit. p. 35. 

(2) Françoise Journet mourut à Paris en 1722. 

(3) Née en 1690, reçue au Théâtre-Français en 17 16, elle se retira en 
1723. Elle a laissé une relation circonstanciée de sa conversion^ qu'on 



22 LE THEATRE A LYON 

Cette» même année, la fille d'un musicien de Lyon, 
nommé Luzy, était admise à T Opéra-Comique de Paris 
comme élève danseuse; l'enfant avait tout au plus dix 
ans, on lui confia bientôt quelques petits rôles en rap- 
port avec son âge. Préville lui reconnut du talent, la 
prit sous sa protection et la fit débuter à la Comédie- 
Française le 26 avril 1763. Elégante de taille et de figure, 
M"* Luzy "se signala par la noblesse des gestes et de la 
démarche, par une prononciation excellente et une phy- 
sionomie pleine d'expression . et de vivacité. Elle quitta 
la scène en avril 1781 et vécut à Paris jusqu'à sa mort 
qui arriva le 27 novembre 1830. Elle avait 83 ans (i). 

Il faut citer encore un fameux chanteur de l'Opéra, 
Henri Larrivée, qui naquit à Lyon, le 8 septembre 1733. 
D'abord garçon perruquier, c'est en rasant les acteurs 
qu'il prit goût au théâtre. Il débuta, le 15 mars 1755, 
comme seconde basse-taille dans Castor et Poltiix et, 
bientôt après, il créa, sous les yeux de Gluck, les ^ rôles 
d'Agamemnon dans Iphigénie en Aulide et d'Oreste dans 
Iphîgénie en Tauride. Cet acteur possédait, avec une 
taille avantageuse, une voix sonore et brillante, un jeu 
animé et une profonde connaissance de son art, qui le 
distinguèrent pendant trente-deux ans sur la scène 
lyrique. Les compatriotes de Larrivée eurent souvent 
l'occasion de l'applaudir au théâtre de Lyon, sur lequel 
il aimait à reparaître (2). Il n'est pas de plus complète 



trouve dans le i^^ vol. des Pièces intéressantes et peu connues, publiées 
par Laplace. 

(i) Mlle Luzy était née à Lyon le 6 juin 1747. On lit dans lés regis- 
tres de la paroisse de Saint-Nizier : « Aujourd'hui sept juin, j'ai baptisé 
Dorothée, fille de Claude Lutj, musicien, et de Justine Montai, son 
épouse. » 

(2) Larrivée mourut à Vincennes le 7 août 1802, — Biogr, univers. 



tE THEATRE A LYON 23 

satisfaction pour celui qui est parvenu à la fortune, que 
de recueillir les suffrages de ceux qui l'ont vu dans 
l'obscurité. 

L'abondante récolte de blé de l'année 175 1 avait laissé 
dans la caisse consulaire un million de livres disponible 
sur le montant des emprunts. C'était le cas d'exécuter, 
à Taide de ces fonds, des travaux d'embellissements 
depuis longtemps projetés, notamment la reconstruction 
du théâtre qui menaçait ruine et dont l'aspect n'avait 
rien de monumental. 

Il paraissait difficile de bâtir le nouveau théâtre sur 
l'emplacement de l'ancien. Pendant tout le temps qu'au- 
raient duré les travaux, on eût été privé de spectacles. 
D'ailleurs, le jardin situé à l'est de l'Hôtel-de- Ville était 
triste et resserré : le consulat, par une délibération en 
date du 4 mars 1754, homologuée par un arrêté du Conseil 
d'Etat du 10 septembre suivant, résolut de supprimer le 
jardin et »d'élever la nouvelle salle dans la partie orientale 
de ce terrain, dont le surplus formerait une place publi- 
que. On considérait que, de la sorte, il n'y aurait pas à 
faire d'acquisition de sol et que les frais de construction 
seraient couverts en partie par le produit de la vente de 
l'ancienne salle. 

Ce projet fut mis aussitôt à exécution. La partie de la 
maison Bron qui joignait le quai de Retz fut vendue 
cent trente-cinq mille livres aux sieurs Sain et Auriol. 
Quant à l'architecte du nouveau théâtre, le choix ne 
pouvait ôtre douteux. Soufflot(i) exerçait alors son art 



(i) Souffloi construisit la façade monumentale de l'Hôtel-Dieu, et 
bâtit le Temple des protestants sur l'emplacement de la Loge-du- 
Change. Personne n'ignore que c'est à lui que Paris doit son église 
Saintç- Geneviève. 



24 LE "niÉATRE A LVON 

à Lyon, où îles travaux remarquables avaient déjà jeté 
les fondements de la réputation qui devait bientôt le faire 
appeler à Paris. C'est à c;;t artiste que la ville confia 
cette importante construction ; il reçut six mille livres 
B pour ses plans et jra'is de- dessmature. » Les dessins 
furent achevés en quelques mois et la pose de la première 
pierre eut lieu le 17 octobre 1754 (i). 

Voltaire vînt h Lyon avec M"' Denis, le 15 novembre 
suivant. Il assista sans doute au spectacle ; son opinion 
sur notre théâtre serait précieuse à retenir; mais on 
n'en trouve aucun vestige dans sa correspondance. D'ail- 
leurs, le roi du siècle ne passa que trois semaines à Lyon ; 
mal accueilli par le cardinal-archevêque de Tencin, il 
quitta cette ville le 9 décembre (2). 



ni 

Inauguration du nouveau théâtre. — Clairon et Lekain. — Brizard, 
François Auge, Grandval, — Les Fourberies de Scapin, aux Grands- 
Capucins. — Uq succès de larmes. — Les Arches de Lyon. — 
Direction de M"» Lobteau. — Fleury, Larive, M"« Sainval. 

Le nouveau théâtre fut achevé en moins de deux ans. 
Soufflot, montrant que la célérité dans l'exécution est une 



(i) Clerjon, Histoire de Lyon, t. VI, p. 348 et suiv, — Lyon ancien et 
moi. — Archives du Rhône, i. VII, p. 519. — La jolie salle de Soufflot 
ne devait pas avoir uae longue durée; son existence ne dépassa pas 
71 ans. Lorsqu'on la démolit, le 22 février 1828, on trouva dans les 
, fondations de k façade neuf pièces de monnaie à l'effigie de Louis 
XV et une inscription gravée sur une plaque de cuivre et attestant 
quels premièri; pierre avait été posée, le 17 octobre 17J4. P^r le 
duc de Villeroy et parles prévôt et échevins de ia ville. 

(2) Petite chron. lyon. loc. cit. t. IV, p. 422. — Pierre Guériu de 
Tencin, né à GrenoWeen i6}0, succéda à Mgr de Rochebonnc comme 
archevêque de Lyon, en i74o> et mourut le 2 mars 1,758. 



LE THEATRE A LYON 2$ 

partie du génie, en livra les clés au consulat vers le milieu 
de Tannée 1756. 

Le grand artiste s'était inspiré, dans la distribution et la 
décoration de la salle, • de ses souvenirs des théâtres de 
Parme et de Vérone. D'une architecture simple, l'édifice 
indiquait au premier abord sa destination. La façade, peu 
élevée, avait pour couronnement une statue d'Apollon et 
six groupes de génies, représentant les divers attributs de 
l'art dramatique. Voltaire, auquel on avait demandé des 
vers pour être gravés sur l'entablement, répondit qu'il 
n'était pas facile de les faire bons^ et l'on se décida pour 
cet alexandrin : 

Ici le dieu des arts est le [dieu des Amours. 

Plus tard, on substitua à cette inscription le simple mot : 
THEATRE. Limité par l'espace, Soufflot ne put donner 
au monument des proportions grandioses; mais la salle 
avait du moins le mérite d'être parfaitement distribuée : 
elle se composait de trois rangs de galeries superposées, 
où deux mille spectateurs pouvaient s'asseoir commodé- 
ment et voir la scène de toutes les places. Le rideau d'avant- 
scène représentait la descente d'Apollon chez Thétis(i). 

L'inauguration et l'ouverture de cette nouvelle salle eu- 
rent lieu, le 30 août 1756, avec une grande solennité. Après 
un prologue en vers libres, intitulé le Réveil d^Apollon^ 
M"*" Clairon, la célèbre tragédienne (2), venue de Paris 



(i) Lyon aiic. et inod. V. Grand-Théâtre. 

(2) Claire- Josèphe-Hippolyie Legris de Lalude, dite M^ï* Clairon, 
née en 1723 près de Condé en Flandre, morte à Paris le 18 janvier 
1803. — C'était Théroïne du Théâtre-Français; elle avait une figure 
agréable, et surtout de la physionomie, cette autre beauté essentielle à 
la scène. « Dès qu'elle paraît, dit Bachaumont dans ses Mémoires secrets, 



26 LE THÉÂTRE A LYON 

pour prêter son concours à cette fete^ remplit le rôle d'A- 
grippine dans Britannicus, avec les accents passionnés et la 
noblesse qui n'appartenaient qu^à elle. Le lendemain, elle 
joualdamé dans V Orpheline de la Chine (i). La présence de 
la grande actrice sur notre théâtre était une sorte de consé- 
cration; les pensionnaires de la Comédie-Française ne 
croyaient pas indigne d'eux la scène qui leur avait envoyé 
Préville. 

Déjà le grand acteur Lekain (2), sublime malgré sa lai- 
deur repoussante, venait d'offrir l'exemple, si usité depuis, 
de donner des représentations en province ; Voltaire, qui 
l'aimait beaucoup et qui l'avait produit au Théâtre-Français 
après l'avoir fait jouer longtemps chez lui dans ses diffé- 
rentes pièces, l'avait fort encouragé à ces tournées hors de 
Paris, comme en témoigne sa correspondance (3). Lekain 



elle est applaudie à tout rompre. Ses enthousiastes n'ont jamais vu et 
ne verront jamais rien de pareil : c'est l'ouvrage le plus fini de l'art... 
Cette actrice a de tout temps eu la passion théâtrale, beaucoup de no- 
blesse dans sa démarche, dans ses gestes de main, dans ses coups de 
tête. Quoique d'une stature médiocre, elle a toujours paru, sur la scène, 
au-dessus de la taille ordinaire (30 janvier 1762). » 

(i) Répert. lyon. Bibl. Coste. Arch. du Rhône, tome XIII, page 

437- 

(2) Henri-Louis Gain, dit Lekain^ né le 14 avril 1728 à Paris, mort 

le 8 février 1778. Voltaire le devina et ne cessa de le protéger. Il dé- 
buta le 14 septembre 1750 et fut très-discuté. (V. les Mémoires d^ 
Lekain^ Paris 1801). — « La nature avait donné à Lekain une physio- 
nomie désavantageuse, une voix sombre et dure, une taille épaisse, et 
semblait lui opposer les plus grands obstacles. (Merc. de France ^ mars 
1778). » Mais le travail et l'art vinrent à bout de tout : les critiques 
les plus éclairés du temps déclaraient n'avoir jamais entendu aucune 
voix humaine dont les inflexions fussent plus variées, d'un pathétique 
plus touchant et plus terrible. Il en vint à produire une telle illusion, 
que dans les moments de passion il n'était pas rare d'entendre lès 
femmes s'écrier : Qu'il est beau ! (Biog. générale). 
'(3) — ^ Aux Délices, près de Genève, 14 avril 175$ : — Monsieur 



LE THÉÂTRE A LYON , 2*J 

suivit les conseils de son protecteur et n'eut pas à s'en re- 
pentir. 

Dès lors, des acteurs de grand talent parurent devant le 
public lyonnais, qui avait déjà la réputation d'être connais- 
seur et difficile. Pendant les années qui suivirent l'inaugu- 
ration du théâtre, on trouve parmi nos comédiens des 
noms devenus célèbres. Brizard (i), qui s'était d'abord 
destiné à la peinture et qui avait été élève de Vanloo, fut 
poussé vers les planches par M^^^ Destouches, directrice 
d'un spectacle donné à Valence, la même qui deviendra 
M"*^ Lobreau et dirigera bientôt notre théâtre. Engagé dans 
la troupe de Lyon, Brizard joua sur diverses scènes de pro- 
vince jusqu'en 1757, époque à laquelle M"" Dumesnil et 
Clairon l'attirèrent à la Comédie, Française pour y jouer les 
rois et Iqs pères nobles. Il fut, paraît-il, pendant son séjour à 
Lyon, le héros d'une singulière aventure. Une nuit^ Brizard 
descendait le Rhône en bateau, lorsque sa frêle embarca- 
tion alla se briser contre une pile d'un pont ; le malheureux 



le duc de Richelieu, tout makde qu'il est, n'a point perdu de temps, 
mon cher et grand acteur. Il a écrit à M. de Roche-Baron, et vous 
avez la permission de vous faire admirer à Lyon, tant qu'il vous plaira. 
Vous devez avoir reçu cette permission dont vous doutiez; nous vous 
en faisons compliment, M™e Denis et moi. — V. » 

Voltaire lui écrivait encore de Lauzanne, le 5 janvier 1756 : — 
« ... Vous gagneriez plus en province qu'à Paris; c'est une honte in- 
soutenable...! » — Lekain ne touchait que dix à douze mille livres à la 
Comédie- Française. (Mém. secr., 12 avril 1767). 

Le 28 février suivant, M^e Denis faisait savoir au grand artiste qu'il 
était attendu à Ferney pendant la semaine sainte et qu'il « pourrait 
jouer, en passant, la semaine de la Passion à Lyon, » 

(i) Britard, dit Brizard, était né à Orléans le 7 avril 1721, et mourut 
à Paris le 30 janvier 1791. — « Il a, dit Bachaumont, la majesté des 
rois, le sublime des pontifes, la tendresse ou la sévérité des pères. C'est 
un grand acteur, qui joint la force au pathétique, la chaleur au senti- 
ment {Mém. sec.^ loc. çit,). » 



28 LE THÉÂTRE A LYON 

parvint à se cramponner à la pile et attendit le jour dans 
cette position critique; à l'aube, il fut sauvé; mais, soit par 
la terreur, soit par les efforts surhumains qu'il avait dû faire, 
ses cheveux avaient entièrement blanchi... Aussi n'avait-il 
pas besoin de perruques pour figurer les vieillards. 

François Auge (i), qui, dès l'année 1750, parcourait la 
province en compagnie d'acteurs ambulants, fit partie de 
la troupe de Lyon. Ce fut dans cette ville, où la comédie 
florissait, que cet acteur, qui y tenait avec succès l'emploi 
de h grande casaquCy reçut, le 18 janvier 1763, un ordre de 
début pour la Comédie-Française, à laquelle Armand l'a- 
vait signalé comme le seul artiste capable de le remplacer. 
Notre théâtre posséda aussi à deux reprises ce célèbre 
Grandval (2) qui « avait sur la scène, dit La Harpe, l'air 
d'un homme du monde. » Il quitta Lyon pour retourner à 
Paris en février 1764. Lorsque son astre vint à pâlir et que 
Paris l'eût rejeté comme un hochet brisé, Grandval revint 
chercher, dans la ville qui l'avait accueilli quatre années au- 
paravant, un public moins engoué du succès, mais plus 
réservé pour les talents déchus. Il faut voir comme les cri- 
tiques parisiens lui donnèrent le coup de pied de l'âne : 

a Le sieur Grandval, dit Bachaumont, après avoir fait les beaux 



(i) Né à la Ferté-sous-Jouare le 31 décembre 1733, il mourut à 
Paris le 26 février 1783. — V. Galerie historique des comédiens de la 
troupe de Talma^ parE. D. de Manne, p. i. 

(2) François-Charles Racot de Grandval, né à Paris le 23 octobre 
1710, mort le 17 septembre 1784. — Bachaumont fait un parallèle en- 
tre Grandval et Bellecour que nous allons voir aussi figurer sur le théâ- 
tre de Lyon. Tous deux couraient la même carrière dans les deux 
genres : « Le premier a plus d'importance, plus de morgue, plus de 
faste; Tautre a plus de naturel, plus d'aisance, plus de fatuité : les rôles 
d'ironie, de dédain, de mépris, conviennent mieux au premier : ceux 
d'entrailles, d'onction, de pathétique, mieux au second (^Mém,secr.y 30 
janvier 1762). » 



LE THÉÂTRE A LYON 29 

jours de la scène française, a insensiblement perdu toute ^a célébrité et 
s'est vu forcé de disparaître tout à fait, â Pâques dernier. Pour mettre 
le comble à ses humiliations, il vient de s^ enrôler dans h. troupe de Lyon^ et 
terminera probablement ainsi sa malheureuse carrière. Tel on a vu 
Bélisaire demandant Taumône ; ou plutôt, tel le roi de Syracuse devint 
maître d'école (Mém, secr. 2 juin 1768). » 

La redoutable concurrence que leur faisait le vrai théâtre 
n'arrêtait point la verve des bons religieux. Jaloux des lau- 
riers du père Folard, le père Georges Vionnet (i) avait 
fait jouer le 28 mai 1747, Xerxès^ tragédie en cinq actes et 
en vers. Dix ans après, en plein dix-huitième siècle, pen- 
dant le carnaval de 1757, les capucins du Grand-Couvent 
ne se firent pas scrupule de jouer, trois jours de suite, les 
Fourberies de Scapin, sur un théâtre dressé au fond de leur 
bibliothèque, en présence de leurs confrères du Petit-Forez 
et d'un grand nombre de leurs pénitents qu'ils avaient in- 
vités à ce spectacle. Voici un couplet que rapporte l'abbé 
de La Tour, dans ses Réflexions morales, politiques et litté- 
raires sur le théâtre, et qui pourrait bien appartenir à une 
chanson faite à l'occasion de ces représentations : 

Nous jouons des comédies 
Dans l'enclos de nos maisons. 
Et même des tragédies 
Mieux que Molière et Baron. 
Je brille dans le tragique, 
Frère Duc dans le comique. 
Veut-on de bons arlequins ? 
Que Ton vienne aux Capucins (2). 

Autre temps, autres mœurs ! ce qui n'était que naïf 



(i) Georges Vionnet, jésuite, professeur de rhétorique au collège de 
la Trinité, né le 31 janvier 1712, mort le 31 décembre 1754. 

(2) Nouv. eulés, du 7 août 1757 ; Arch. du Rhône, lom. XIII, p. 
^8 ; Lyon anc, et mod. loc. citât. 



30 LE THÉÂTRE A LYON 

alors ferait scandale aujourd'hui que ropînion publique 
se montre plus que sévère pour tous ceux qui portent 
rhabit reKgieux. Mais revenons au Théâtre. 

Au mois de février 176 1, « les comédiens ordinaires 
de Mgr le duc de Villeroy » donnèrent la première 
représentation du 'Pin de Famille^ de Diderot, qui eut 
un grand succès de sensibilité et que le chroniqueur des 
Affiches de Lyon appelle un chef-d'œuvre (i). Après les 



(i) Cette feuille, devenue hebdomadaire, nous fournit dos documents 
pleins d'intérêt sur les années qui vont suivre. Voici, par exemple, 
à la date du 6 mai 1761^ une page fort curieuse au double point de 
vue de la mise en scène et de la critique dramatique à cette époque : 

« Le théâtre de Lyon va voir renaître les jours brillants du célèbre 
Noverre. Les ballets vont reprendre leur éclat sous la direction du sieur 
Hus, déjà connu et applaudi dans la capitale. Ce maître de ballet a 
débuté par la^ Mort d'Orphée ou les Fêtes de BacchuSy ballet héroïque 
reçu avec tant d'accueil à Paris. — On aperçoit, aux deux côtés du 
fond du théâtre, des montagnes séparées par un vallon délicieux orné 
de quelques arbres qui laissent voir TEbre dans l'enfoncement. Orphée, 
assis nonchalamment sur un Ut de gaxptiy enchante par les sons de sa 
lyre, tout ce qui est autour de lui. Les animaux les plus féroces sont 
adoucis par l'harmonie de son jeu. Les arbres et les rochers semblent 
s'approcher pour l'entendre de plus près ; lorsqu'il cesse de tirer des 
sons de sa lyre, les rossignols s'efforcent en vain de les imiter, et ils 
tombent morts de jalousie et de douleur de ne pouvoir y réussir. Or- 
phée finit par un morceau lugubre qui exprime les regrets de la perte 
de sa chère Euridice. Les animaux attendris inclinent leurs têtes, les 
montagnes et les rochers se fendent ; les arbres laissent tomber les 
pleurs que V Aurore avait, au matin, répandus sur leurs feuilles ; toute la- 
nature s'intéresse au sort d'Orphée. — Les seules Bacchantes sont 
insensibles à ses sons, elles le soupçonnent de mépris pour elles ; elles 
ont juré sa perte; elles descendent en fureur du haut des montagnes, 
tenant un tliyrse d'une main et un tambour de l'autre. Elles se jettent 
sur lui pour le frapper ; mais Orphée enchaîne leur rage par la mélodie 
de ses sons. Les armes leur échappent des mains et tombent sans force 
aux pieds du chantre de la Thrace. Elles paraissent un moment adou- 
cies par la lyre enchanteresse ; mais, pour n'y pas succomber et pour 
s'empêcher d'en entendre les sons, elles font avec leurs tambours et leurs 



LE THEATRE A LYON 5I 

sécheresses du cœur, l'apparition de J.-J. Rousseau a pro- 
duit une transformation complète ; avec le sentiment de la 
nature, il a donné à la femme la sensibilité. « La femme 
veut être émue jusqu'aux larmes ; elle court au théâtre 
pour pleurer. Elle pleure à chaudes larmes lorsque, dans le 
Cri de la nature, paraît sur la scène un petit enfant au maillot. 
Au Père de Jamille, on compte autant de mouchoirs que 
de spectatrices. Les femmes se pressent à toutes les pièces 
sombres et pathétiques, aux RoméOy aux Hamlet^ aux Ga- 
hrielle de Vergy ; et la plus grande partie de plaisir est 
pour elles d^aller s^évanouir à ces drames où h cœur est 



flûtes un hacchanaî que Torchestre exprime. Celle qui est à leur tête 
reste seule attendrie et s'assied aux pieds d'Orphée. Ses compagnes 
furieuses veulent fondre sur le malheureux Orphée qui tend en vain 
les mains pour les fléchir. La principale Bacchante fait des efforts 
pour arrêter leurs transports; elle se jette à leurs genoux pour leur 
demander grâce, et, ne pouvant triompher de leur rage, elle se met 
entre elles et Orphée et veut périr avec lui puisqu'elle ne peut le sauver. 
Les Bacchantes l'arrachent de devant leur victime, l'attachent à un 
tronc d'arbre, tombent sur Orphée, le déchirent et jettent son corps et 

sa lyre dans l'Ebre qui s* agite d'horreur Elles exécutent alors un 

morceau de danse qui exprime à la fois la rage et la jofe qu'elles ont 
d'avoir tué leur ennemi. Ce morceau de musique dans le goût d'une 
tempête laisse percer de temps en temps les accents plaiiuifs de la lyre, 
qui, d'elle-même et du fond du fleuve, fait encore entendre ses sons 
douloureux. 

« Une symphonie annonce l'arrivée de Bacchus ; la terreur saisit 
les Bacchantes, qui prévoient la colère de ce dieu terrible lorsqu'il 
apprendra la mort de celui qui présidait à ses mystères. Elles expri- 
ment leur crainte et leur embarras par différents tableaux et s'enfuient 
en désordre! Bacchus descend de la montagne sur un char traîné par 
des tigres; le vieux Silène et une troupe de Faunes l'accompagnent. 
11 est étonné de la fuite des femmes dévouées à son culte. Il aperçoit 
la principale Bacchante attachée à un arbre, qui donne toutes les 
marques du désespoir et qui l'implore aussitôt qu'elle le voit, en lui 
montrant, sous les arbres, l'écharpe d'Orphée ensanglantée. Il connaît 
la fureur de ces femmes et ne doute plus de la mort de son cher 



J2 LE THEATRE A LYON 

délicieusement navré par des angoisses terribles qui sont le 
charme du sentiment (i). » 

Le sieur Breton fut remplacé, à la direction du Théâtre, 
en octobre 176 1, par une médiocrité de la pire espèce, 
un sieur Rosimond (2), qui, par bonheur, ne garda cette 
charge que trois années. On lui fit donner sa démission au 
mois d'avril 1764, et Tannée théâtrale recommença sous 
Tadministration de M"* Destouches-Lobreau , femme de 
tête, qui avait été directrice du tliéâtre de Bordeaux et 
qui jouissait déjà de la sympathie du public lyonnais, 

La troupe débuta par Mélanide ou les Trois Frères Rivaux. 
« Début fort triste, » écrivait M"*" Lobreau à M. de la 
Verpillière, prévôt des marchands, « les comédiens ont été 
trouvés détestables. Cependant, le comique vaut mieux que 
le tragique. La troupe a joué dans VObstacle et a été fort 
applaudie Tout paraît fort tranquille dans le public; 



Orphée. Il fait délier la principale Bacchante, lui promet justice et 
envoie les Faunes chercher ses compagnes. Leur terreur est l'aveu de 
leur crime ; elles se jettent à genoux, mais elles ne fléchissent point le 
dieu irrité qui les attache à la terre et les change en arbres. Les jeunes 
Faunes, consternés de cette métamorphose, demandent grâce pour, 
elles et apaisent insensiblement la colère du dieu qui rend aux Bac- 
chantes leur premier être et leurs premiers charmes. Celles-ci, de con- 
cert avec les Faunes, exécutent alors les FéUs de Bacchus pour le 
remercier ; et ces Fêtes se terminent par une Contredanse générale qui 
finit par la marche de Bacchus, qui remonte la montagne avec sa suite 
et tous les attributs préparés pour la Fête. 

« Ce ballet rempli de feu, de génie et d'action, et qui a été donné 
avec l'appareil et la précision de la plus belle exécution, justifie le cas 
que l'on a fait des talents de l'auteur (Affiches de Lyon, 6 mai 1761). » 

(i) La femme au dix-huitième siècle, par Edmond et Jules de Gon* 
court, I vol. in- 18, p. 440. 

(2) Archiv. manuscr. de la Ville de Lyon, série DD. Théâtre. — 
Corresp, de M»« Lobreau avec M. de la Verpillière, prévôt des 
marchands. 



^ 



LE THÉÂTRE A LYOÎ^ 33- 

j'entends un cri général : M"^ Lobreau va bonifier uite troupCj 
elle ne la souffrira pas si mauvaise (i). » 

C'était Rosimond qui avait monté la troupe : personne 
n'osait se plaindre. Pour surcroît de malheur, Larrivée 
et sa femme, qui avaient débuté le 15 avril, étaient rap- 
pelés sur un ordre de Paris ; c'était une grande perte 
pour M""^ Lobreau qui « ne savait plus où- donner de la 
tête et ne quittait pas le Théâtre du matin au soir. » Le 
public disait : « La pauvre Lobreau fait bien ce quelle 
peut / » — « Néanmoins, concluait la directrice, c^est 
assomant (2)..» 

Elle essaya bien d'engager Grandval, Mole, M"* Du- 
mesnil; mais ces artistes avaient des engagements antérieurs. 

C'est sur ces entrefaites que fut écrite la lettre suivante, 
qu'il convient de reproduire avec sa saveur et son ortho- 
graphe de fantaisie : 

« La comédie va autant bien quelle peut allé, mais non 
sans peine. Les maladie sont sy frécante et la troupe sy 
séré que Ion auroit fermé dix fois la porte sans les soins 
que je me donne; heureusement les pensionnaire font pour 
moy tout ce quil peuve. Madame Camelly a beaucoup 
perdue de ses droits sur le cœur du public. On la trouve 
gatté depuy quelle a quitté Lyon^ et heureusement il 
nous arive le mois prochain un premier roUe que le 
prince de la Tour-Taxis ma fait enlevé déjà deux fois 
comme elle venoit me joindre. Les cours étrangère nous 
enlève tous les sujets^ il ny en a presque plus en France. 



(1-2) Eod. loc. Corresp. de M»»* Lobreau, lettres des 16 avril, 9 
juin et i«r juillet 1764. 

Les directeurs des théâtres devaient rendre un compte rigoureux au 
prévôt des marchands et l'informer de tous les détails de leur admi- 
nistration. 

3 



34 LE THÉÂTRE A LYON 

« Je n'ai pas encore pu réparé la perte que nous allons 
faire au premier sbre de nostre jeune home.' Je voudrois 
bien ne me pas faire d'affaire avec les gentilshomes de la 
chambre, et cette perte nous fera un grand vide. Je vous 
suplie, Monsieur, de me dire sy vous avés vue le duc 
Duras (i) et si vous luy en avez parlé. Il faut que Ion 
soit bien au dépourvue au Théâtre François ; Mon- 
sieur le duc de la Trimotiillie qui est venue voire Lyon 
avec quiatre officié de son régiment sous le nom du cheva- 
lié de Lépine, est venue me voire et ma promis d'en parlé 
aux Duc Duras. Quoy quincognito je lui ay donné les 
pièce qu'il désiroit. Voilà, Monsieur, toute les nouvelle du 
spectacle et de la position ou je suis. Et toujours avec Res- 
pect, Monsieur, Votre très-humble, 

« Destouches-Lobreau. » 
« Ce 30 juillet 1764 (2). » 

A force d'énergie, la directrice parvint à composer une 
troupe fort convenable, où figuraient à côté de son mari 
qui jouait dans l'opéra, Rosambert et sa femme qui faisait 
les soubrettes^ Hus père et fils, maîtres de ballet, Dalain- 
ville, firère du sémillant Mole qui était lui-même venu à 
Lyon, Duparc, Brizard, Bellecour qui avait déjà débuté à 
la Comédie-Française, enfin les demoiselles Monrose et 
Dainville. M"* Lobreau elle-même, excellente actrice, n'a- 
bandonna pas la scène, où elle jouait dans les deux genres, 
faisant alternativement les caractères et les confidentes y et sup- 



(i) Le duc de Duras, premier gentilhomme de la chambre du roi. 
A Paris, les comédiens dépendaient des gentilshommes de la chambre, 
comme à Lyon du gouverneur. 

(2) Arch. mss. eod. loc. — Projet pour l'établissement du spec- 
tacle. 



LE THÉÂTRE A LYON 35 

portant à la fois le fardeau de la direction et les fatigues des 
répétitions quotidiennes. 

Cette femme intelligente fut l'objet de la protection la 
plus marquée de la part de l'autorité administrative. Ajou- 
tons que la nouveauté de la salle de spectacle, la suppres- 
sion des jeux dans les cafés, les ballets de Noverre et les 
bouffons furent pour elle autant d'éléments de succès dont 
elle sut profiter. 

Dans la suite, le hasard lui procura des sujets non 
moins distingués que les précédents, tels que : Drouin, 
Laschi, Hedoux ; Caillot qui était, en 1762, le premier 
acteur de la Comédie Italienne et qui, au jugement de 
Bachaumont, « réunissait toutes les qualités, à la no- 
blesse près, dont la voix embrassait tous les genres, se 
montait à tous les tons et valait un orchestre entier (i). » 

Mais il était réservé à la directrice du théâtre de Lyon 
de voir grandir sous ses yeux trois des talents drama- 
tiques les plus remarquables de son temps ; Fleury, Larive, 
M"* Sainval. 

Des revers de fortune avaient amené le père du pre- 
mier à se mettre à la tête d'une troupe de comédiens. 
Confié à n'importe qui, le petit, Abraham-Joseph Laute 
de Fleury (2), connu plus tard sous le nom de Bénard 
Fleury y était resté à Chartres, sa ville natale, jusqu'à ce que 
son père, attaché au roi Stanislas comme directeur des 
spectacles, fût venu le chercher pour l'emmener avec lui. 
Le jeune garçon avait préludé à ses succès futurs sous les 
yeux mêmes du roi et de la marquise de Boufflers, et avait 
commencé son apprentissage de comédien pour ainsi dire 
sur les genoux des grandes dames. 



(i) Métn, Sec.i 20 février 1762* 

(2) Né le 26 octobre 1750, mort le 3 mars 1822* 



36 LE THÉÂTRE A LYON 

A peine adolescent, il voulut voler de ses propres ailes 
et, léger de bagage et d'argent, il se rendit à Lyon où il 
proposa ses services à la directrice du spectacle. Les 
MÉf/«(?/r^j publiés sous son nom, bien qu'apocryphes (i), 
donnent assez bien la physionomie du théâtre lyonnais à 
Tarrivée de Fleury, pour qu'on puisse lés citer ici : 

« M«e Lobreau m'accueillit comme une directrice accueille un co- 
médien utile, et le public de Lyon ni trop mal, ni trop bien, en public 
qui attendait. Terrible parterre que celui de la seconde ville du royaume î 
La directrice de ses plaisirs dramatiques avait fort à faire : parlons un 
peu d'elle... » 

a C'était en bien des points le parfait contraste de Mii« Montansier. 
Juste, habile, exacte, femme de cœur, femme sévère, un homme en 
jupons pour la conduite des affaires; c'était un véritable monarque, mais 
il n'y avait point à s'en plaindre; elle tenait le sceptre d'une main feraie 
autant qu'habile : sous son règne, le théâtre de Lyon pouvait rivaliser 
d'éclat et de magnificence avec les plus brillants de la capitale. — 
Aussi sa passion dominante était-elle le commandement. Nous l'appe- 
lions notre fée Urgeîk,,. » 

Plus loin, les Mémoires racontent combien le jeune débu- 
. tant eut à souffrir de la part du public, qui le siffla sans 
pitié : 

« Quand je quittai mon père, impatient "de voler de mes propres 
ailes, je crus que je trouverais partout la même indulgence... J'avais 
chaussé le brodequin, espérant ne marcher que sur des roses ; hélas ! un 
certain jour, il ne me garantit guère des ronces et des épines... Les 
trompettes du jugement dernier ne seront pas plus terribles aux hom- 
mes coupables que ce bruit humiliant ne le fut pour mes oreilles... » 

« Heureusement que j'étais assez jeune pour croire à une injustice, 
Mnac Lobreau me soutenant d*9illeurs et mettant toute sa ténacité à 



(i) Les Mémoires de Fleury ont été composés avec esprit par J.-B.-P. 
Lafitte (1835-1837), qui a mis à contribution les mémoires du temps. 
Il résulte de témoignages authentiques que Fleury n'a pas laissé 
d'écrits. 



LE THÉÂTRE A LYON 37 

donner un démenti aux siffleurs. A cette occasion même, un nommé 
Provost, qui jouait les premiers rôles, me tendit la main et me donna 
d'excellentes directions. » 



Peu à peu, Fleury parvint à réaliser le type du vrai 
comédien de ce temps-là : « Parler sans gestes, et se 
donner l'air d'un homme du monde, d'un grand seigneur 
dans un salon, avec cette nonchalance, ce laisser-aller de 
la bonne compagnie, l'épée au côté et le chapeau sous le 
bras. » Les souvenirs delà cour du roi Stanislas ne lui 
furent pas inutiles : 

ce Entouré de mes chaises et de mes fauteuils, je me faisais un cercle 
brillant et bénévole d'hommes du monde et de jolies femmes; ainsi 
que le Sosie à* Amphitryon y je prenais et je quittais tour à tour plusieurs 
rôles ; ma voix polie, ironique ou impertinente, parlait à une femme 
aimable, répondait à une épigramme et relevait Tinsulte ; je traitais 
avec tous mes meubles, baptisés de noms superbes ou de beaux titres^ 
de puissance à puissance. » 

Enfin, le courageux artiste dompta son public et fut 
admis dans le meilleur monde, grâce à la régularité de sa 
conduite ; il revenait toujours à son talent quelque chose 
de ces fréquentations ; car, « si les auteurs dramatiques 
sont des écouteurs aux portes, il faut que le comédien 
pénètre jusque dans les salons. » 

Après quelques années de séjour à Lyon, Fleury quitta 
notre théâtre en 1773 pour celui de Lille. Son début à la 
Comédie-Française eut lieu le 7 mars 1774. Mais, trou- 
vant pour obstacles à son admission les sociétaires Bel- 
lecour, Monvel et Mole qui tenaient le même emploi que 
lui, il suivit le conseil de Lekain, son bon ange, et reparut 
sur le théâtre de Lyon, où il avait laissé de bons souve- 
nirs. Il y passa encore quatre années, pendant lesquelles il 
assouplit son organe et acheva d'acquérir ce ton de bonne 



38 LE THÉÂTRE A LYON 

compagnie sans lequel il n'y avait alors aucun succès pos- 
sible. La Comédie Française lui ouvrit enfin ses portes le 
20 mars 1778; il joua \qs petits maîtres en remplacement 
de Mole devenu vieux, et, dix ans plus tard, il occupait les 
grands premiers rôles de comédie (i). 

Mademoiselle Sainval ou de Saint-Val, appartenait à une 
honorable famille de la sénéchaussée de Grasse, les Alziary 
de Rochefort (2). Sa mère avait été attachée à la personne 
de la reine Marie Leczinska, son père était chevalier de 
Saint-Louis et l'un de ses frères était au service (3). Ce 
furent sans doute les représentations dramatiques qu'on 
donnait au couvent d'Amibes, où les demoiselles de Saint- 
Val furent élevées, qui développèrent leur goût pour le 
théâtre. Le père, loin de contrarier ses filles, les favorisa 
en les faisant paraître sur un petit théâtre de société; mais 
leur détermination l'affligea. 

L'aînée des deux sœurs débuta à Lyon où elle joua la 
tragédie, et y fut fort goûtée. La noblesse de sa démarche 
et une exquise sensibilité faisaient oublier des traits pres- 
que repoussants et un organe défectueux. En 1766, la 
jeune actrice fut mandée à Paris pour combler le vide 
qu'allait laisser le prochain éloignement de Mademoiselle 
Clairon. Un vrai triomphe l'attendait. On lit dans Bachau- 
mont à la date du 5 mai de la même année : 



(i) E. D. de Manne : Galerie hist. des portraits des comédiens, 

(2) Marie-Pauline-Chrisiine Alziary de Rochefort, dite M^© Sainval 
Taînée, était née à Coursegoules le 15 décembre 1743 et mourut à Paris 
le 13 juin 1830. — E. D. de Manne : Galerie hist. des portraits et des 
comédiens de la troupe de Voltaire, gravés par Hillemacher, avec détails 
biog. inédits. Lyon, Scheuring, 1861. 

(3) Ce frère fut pendu en 177 1 ; la douleur et la honte rendirent folle 
l'impressionnable actrice.^ 



LE THÉÂTRE A LYON 39 

<c Le Théâtre-Français s'occupe à réparer ses pertes. M^ie Sainval^ 
nouvellement arrivée de Lyon, a débuté aujourd'hui dans le rôle 
à* Ariane. Ses talents sont déjà développés. C'est une actrice exercée, 
elle a beaucoup de feuj^^ des entrailles, un jeu naturel à la fois et rai- 
sonné. 3» 

K 12 mai. — Les trois débuts de Mïi« Saînval dans Ariane ont été 
des plus brillants : on lui remarque des silences et des coups de force 
qui annoncent la plus grande intelligence et l'âme la plus énergique et 
la plus sensible... Elle est supérieure à tout ce que nous avons à la Comédie^ 
même à M}^^ DumesniL » 



De son côté, Voltaire trouvait la débutante sublime et 
La Harpe, dans le Mercure, proclamait qu'elle atteignait 
le grand pathétique. 

Le troisième grand acteur que le théâtre de Lyon pré- 
para pour la Comédie-Française , sous la direction de 
M"'*' Lobreau, fut Jean Mauduit, dit Larive. Né le 6 août 
1747 à La Rochelle (i), où son père tenait un fonds d'épi- 
cerie, il s'enfuit à l'âge de neuf ans de la maison paternelle 
et alla se réfugier chez les religieux de Sept-Fonds, dans le 
Bourbonnais. 

L'enfant fut embarqué plus tard pour les colonies et 
passa plusieurs années à Saint-Domingue, d^où il s'échappa 
pour revenir en France. Alors, passionné pour le théâtre, 
il se présenta un jour chez Lekain sous un nom américain, 
déclama des vers devant lui et emporta Tespérance que le 
grand tragédien lui avait fait concevoir de le doubler un 
jour à la Comédie-Française. Il alla aussitôt s'engager à 
Tours dans la troupe de M"*^ Montansier, et dès lors il 
quitta son nom de famille pour adopter un nom de guerre, 
qu'il tira, en l'abrégeant, du nom même où était située la 
maison de commerce de son père : 



(i) Mort près de Montmorency, le 30 avril 1827. 



40 LE THÉÂTRE A LYON 

« De monsieur de La Rive il prit le nom pompeux (i). » 

Ce fut vers '1767 que Larive vint à Lyon. Il y réussit 
complètement ; mais, il vit avec un grand déplaisir Lekain 
venir y donner quelques représentations et détourner l'at- 
tention du public à son préjudice : 

« Vous souvient-il de votre passage à Lyon en 1767 ? — écrivait 
plus tard l'abbé Duverney à Lekain. — Vos succès constants à Paris 
peuvent bien vous avoir fait oublier vos succès en province. Pour moi, 
je n'oublierai jamais l'état d'ivresse où vous jetâtes la ville de Lyon ; 
que vous jouâtes deux tragédies dans une soirée ; que vous fîtes souper 
plus de deux mille Lyonnais dans la salle du spectacle ; et qu'avec votre 
grande et belle réputation, pour garder ma place et voir Mahomet, je 
courais le hasard de ne souper qu'à deux heures du matin, si M. le 
commandant n'avait eu l'extrême obligeance de m'envoyer à man^ 
ger » (2) 

Larive, qui était beau de visage, devait offrir un sin- 
gulier contraste avec Lekain, lorsqu'ils paraissaient tous 
deux sur la scène ; mais il avait moins d'intelligence et de 
sensibilité que son rival. 

Parmi les anecdotes qu'il raconte dans ses Réflexions sur 
Fart dramatique, la suivante se rapporte à son séjour à 
Lyon. Un jour que Lekain jouait Vendôme, Larive, sans 
avoir prévenu personne, parut sous l'habit de Nemours. 
Son apparition inattendue provoqua des applaudissements 
assez vifs pour rendre sensible l'impression qu'ils produi- 
sirent sur Lekain. Les premiers mots que prononça Ne- 



(i) De Manne : Galerie de la troupe de Voltaire, p. 294 et suiv. 

(2) Lettre du 26 juin 1772, dans les Mémoires de Lekain, Paris, 180:. 
— On jouait alors les Scythes de Voltaire, dont la huitième édition s'im- 
primait à Lyon, et qu'on répétait à la fois à Paris, à Lausanne et à Ge- 
nève. (Corresp. de Volt., Ferney, 1 1 mars et 17 juilet 1767). 



LE THÉÂTRE A LYON 41 

mours sont : « Où me conduisez-vous? » — « Devant 
votre vainqueur ! » lui répond Vendôme. Cette réponse, 
d'une application si facile, passant par la bouche de 
Lekain, fut la foudre tombant dans la salle, tant elle pro- 
duisit d'effet. Mais ce que n'ajoute pas Larive, pour com- 
pléter sa narration, c'est qu'il se trouva déconcerté au point 
que toute l'exécution de son rôle s'en ressentit (i). 

Malgré cet incident, Larive suivit Lekain à Paris, reçut 
ses leçons et celles de M"** Clairon, alors retirée, et débuta 
le 3 septembre 1770 à la Comédie-Française. « Lekain, 
dit Bachaumont après ce début, forme un acteur dans le 
tragique, dont il donne les plus grandes espérances, quant 
au talent. Il a cinq pieds six pouces^ de grands yeux noirs, 
des sourcils très-prononcés, le reste de la figure à l'ave- 
nant : il n'a que dix-neuf ans (2). » 

Les actrices se disputaient les rôles des pièces où il 
jouait. Mais l'écrasante supériorité de son maître le fit 
échouer : il partit pour Bruxelles et se condamna à quatre 
ans d'exil volontaire, durant lesquels on le retrouve encore 
avec Lekain au théâtre de Lyon. 

Ce fut pendant l'été de 1773 , lorsque le patriarche 
de Ferney écrivait à « l'auteur unique de la France et son 
ancien ami », qu'il ignorait si sa « malheureuse santé » 
(dont il se plaignait toujours), lui laisserait la force d'aller 
l'entendre, lui promettant de faire le voyage de Ferney à 
Lyon s'il voulait apprendre le rôle de Teucer pour l'y jouer: 
« J'ai juré, ajoutait-il courtoisement, de ne voir jamais 
aucun spectacle que ceux qui sont embellis par vous (2). » 



(i) V. De Manne, ouvrage cité. — Larive est encore Fauteur d'un 
Cours de déclatmiion et de Pyrame et TlnsU, scène lyrique. Paris, 1784. 

(2) Mém. Sec, 10 sept. 1770. 

(3) Corresp. de Voltaire, Ferney, 7 mai et 7 auguste 1773. 



Du reste, pour se faire une idée de l'engouement dont 
Larive était lui-même l'objet, il faut lire ces vers,- cités par 
M. de Manne, qui furent adressés à cet acteur en plein 
théâtre de Lyon, le i" juin de la même année, à une re- 
présentation d'Œdipe : 

« Interprète touchant de Melpomène en pleurs. 

Toi qui sçais à ta voix intéresser les cœurs. 

Dis-nous quel Dieu puissant te pénètre et t'enflamme. 

Et parte dans nos sens le trouble de ton âme I 

Œdipe, de ton être agitant les ressorts, 

De la nuit du tombeau t'inspire les remords, 

Tremblant, saisi d'horreur, je vois tes pas timides 

Reculer à l'aspect des fières Euménides. 

Tu vas peindre Orosmane et passer tour à tour 

Des cris de la fureur aun soupirs de l'amour ; 

Je m'attendris alors, et mon dme attentive 

Au terribk Lehdn prifire de La Rive. 

Tu fuis, à dell Oàsuis-je? Adieu larmes, plaisir. . , 

Cher Larive, reviens!,.. ■ 

U revint, mais six ans après. Rappelé à Paris sur les 
instances de Lekain, l'acteur si vivement regretté des 
Lyonnais reprit ses débuts le 29 avril 1775 et fttt admis. 
n doubla Lekain, comme celui-ci le lui avait fait espérer, et 
la mort du grand comédien le mit en possession des pre- 
miers rôles. 

Au mois de mai 1779, Larive vint "donner à Lyon trois 
représentations ; il y eut tant de monde à l'une d'elles, 
qu'il en résulta du désordre. Il était dix heures du soir ; on 
venait de pendre un homme ; la foule qui avait assisté à 
l'exécution se jeta dans les couloirs du Théâtre, battit la 
garde, força les portes, et plus de trois cents personnes 
entrèrent sans payer (i). 



(i) Petite chroQ. lyon. au xvni* àècle, par M. de Voleine (Rev. du 
Lyon. t. 19). 



LE THÉÂTRE A LYON 43 



IV 



La Vestale. — J.-J. Rousseau à Lyon. — Le Concert, de 1760 à 1770. 
Horace Coignet. — v^ représentation de Pygmaïion à THôtel-de- 
Ville. ~ Le théâtre de société. — Mlle Sainval, la cadette. — La 
grande intrigue du Théâtre. — M™* Lobreau à la Cour. — Hus et 
Gaillard. — CoUot-d'Herbois au Théâtre de Lyon. — M"e Saint- 
Hubèrti et le père Hyacinthe. — Direction de Mli« Destouches. 

M"** Lobreau, qui eut le rare privilège de posséder dans 
sa troupe tant de bons artistes et même des auteurs drama- 
tiques, — comme Laméry, à qui Ton doit le Vingt-et- 
un (i) — sut aussi faire jouer sur son théâtre, le 3 juin 
1768, une tragédie proscrite par la Sorbonne, Ericit ou 
la Vestale, qui présentait la vie monastique sous les couleurs 
les plus effrayantes. Le même thème allait être reproduit 
par La Harpe dans sa Mêlante. La sensibilité était à la mode, 
on l'a dit plus haut, et l'on s'apitoyait sincèrement 
sur le sort des religieuses cloîtrées, que l'on considérait 
comme d'infortunées victimes (2). A la représentation, la 
pièce eut le plus grand succès ; mais le prévôt des mar- 
chands fut obligé d'en arrêter le cours, en présence des 
clameurs que soulevèrent certains passages (3). 

Une autre première, qui n'excita que de l'enthousiasme, 
ce fut celle de Pygmaïion^ de J.-J. Rousseau et de notre 
compatriote Horace Coignet. Avant d'y arriver, il ne sera 
pas sans intérêt de rappeler dans quelles circonstances 



(i) Comédie en i acte et en prose, ornée de chants et de danses 
(Coste, Répert. lyon). 

(2) Vingt ans plus tard, Camille Desmoulins acclama la Révolution 
comme une délivrance pour les couvents. 

(3) Mém. secrets, Bach. 11 juin 1768. 



44 LE THÉÂTRE A LYON 

cet opéra fut composé : cela se rattache encore à l'histoire 
de Lyon. 

Rousseau était déjà venu quatre fois dans notre ville (i). 
On se souvient que, jeune et encore inconnu, le futur 
philosophe passa une nuit à la belle étoile sur la berge 
droite de la Saône, aux Etroits. Il est impossible d'oublier 
les pages délicieuses qu'il a écrites sur cet incident de son 
existence pauvre et aventureuse. 

C'est à l'autre versant de la vie que nous le retrouvons. 
Il avait cinquante-sept ans ; la sauvagerie de son caractère 
s'était accentuée, et l'approche de la vieillesse Tavait rendu 
misanthrope. Il vivait loin des villes ; il parcourait les 
montagnes de la Suisse et du Dauphiné, herborisant, 
botanisant ; cette étude était devenue une passion récon- 
fortante qui rajeunissait son âme usée. La musique n'avait 
pas cessé non plus de Toccuper : il achevait le poème de 
Pygmaliony lorsqu'il vint à Lyon à la fin du mois de 
mars 1770. 

Rousseau se logea dans une chambre garnie de la maison de 
hCouronned'or, place de la Comédie, ety passa trois mois (2). 
Durant ce séjour, il consacra volontiers ses soirées aux 
concerts de l'Académie des Beaux-Arts, qui avaient tou- 
jours lieu le mercredi ou le jeudi de chaque semaine, 
excepté de septembre à novembre, pendant le temps de la 
villégiature. Pour éviter les entrées proscrites, les étrangers 
se faisaient accompagner d'un officier de l'académie ou 
d'un académicien. On exécutait du français, du latin et de 
l'italien, des opéras-comiques, les Vendanges de Tempe (de 
Favart), l'acte à'Anacréon ou des Surprises de l'Amour; 
les Sauvages^ les Indes galantes^ les Fêtes de V Hymen (de 



(i) En 1731, en 1732, en 1740» et en 1768. 
(2) Péricaud, Tablettes chronol. 



LE THÉÂTRE A L\'ON 45 

Rameau), l'acte de PhiUmon et BatcciSy Jephté, tragédie en 
musique (de Monteclair), le Carnaval du Parnasse^ etc., etc. ; 
et toute cette musique profane était entremêlée ou suivie 
de motets à grande symphonie, de Mondonville et de 
La Lande, de Magnificat ou d^Agnus Dei des grands maî- 
tres (i) De 1760 à 1770, on entendit, au Concert, 

Warin et M"* Fargues, de l'Académie royale de Paris, 
Itasse, Nicolas, Lobreau, M"'*' Charpentier, M"" Vanier, 
Veyron, Renaud et Ferton, sans parler des nombreux ar- 
tistes de passage et des amateurs de talent, comme 
MM. Archaud deBellevue, d'Ambérieux et Horace Coignet. 
Les bals qu'on y donnait en carnaval étaient fort brillants 
et très-suivis ; il faut ajouter qu'on observait le carême et 
que, si le concert ne fermait pas ses portes, on n'y exécutait 
que la Messe de Gilles ou des m^otets nouveaux. Le chroni- 
queur des Affiches reconnaît que x MM. les directeurs et 
inspecteurs de l'Académie des Beaux-Arts ne négligeaient 
rien pour rendre leur concert aussi parfait qu'on pouvait 
le désirer. » Cependant, comme beaucoup de familles qui 
ne passaient que Thiver à Lyon ne prenaient qu'un demi- 
abonnement, les frais considérables de l'entreprise néces- 
sitèrent, en 1767, l'organisation d'une loterie, dont les lots 
gagnants consistaient en abonnements pour deux an- 
nées (2). 

La présence de Rousseau excitait un enthousiasme 
d'autant plus grand dans la salle du Concert, qu'on y 
avait déjà exécuté quelques-unes de ses œuvres musicales, 
entre autres la cantate de la Naissance de Vénus et le Devin 
de Village qui fut composé pour h partition avec la colla- 



(i) Les nouveautés musicales se trouvaient chez Le Gou^,tnaitre de 
i^usique du Concert^ et chez Castaud, place de la Comédie* 
(2) AfficJjesde Lyon^ 1761 à 1770^ passim. 



46 LE THÉÂTRE A tYON 

boraiion du Lyonnais Gauthier (i). Horace Coignet (2), 
fils d'un honorable négociant de notre ville, qui était déjà 
connu comme un habile compositeur, a laissé d'intéres- 
santes Part/c«/flniÉJj«r/.-/. SûMSseau pendant le séjour qu'il 
fit à Lyon, en lyyo (j). 

» Je fis sa connabsance, dh-ilj au grand Concert de cette ville 
(c'était le Vendredi-Saint) : on y exécutait le Slabal de Pergolèse, 
Rousseau était placé ditns une tribune, au plus haut de la salle, avec 
M. Fleurieux de la Touvette. Je montai avec empressement pour 
le voii. Il était assis sur une banquette placée en arrière. M. de 
Fleurieux me fit signe d'approcher ; en même temps, ii disait à 
Rousseau que j'étais un amateur, bon lecteur, et que j'exécuterais 
bien sa musique- Moi, je lui dis que je voulais lui montrer quelque 
chose de ma composition pour le soumettre à son jugement, sur quoi 
il me répartit qu'il n'était pas louangeur. Il me donna rendez-vous 
pour le lendemain, à deux heures après midi. M, Mazoyer (le père 
de l'auteur de !a tragédie de Thésée) s'y trouva avec ses enfanis. 

A mon arrivée, Rousseau me parut fatigué, et il me dit qu'il était 
obligé de sortir dans un quart d'heure. La conversation roula sur l'har- 
monie; je lui dis que j'avais son Diclionnaire, et il parut s'intéresser 
à moi. Bientôt, me trouvant seul avec lui, je lui chantai l'ouverture 
dfe mon opéra. Ma manière lui pîut, il me dît avec feu : « C'est csia, 
vous yilu\» Alors, il me fil chanter différents motets de sa compo- 
sition, tandis qu'il m'accompagnait avec une épinette. Il m'en demanda 
ensuite mon sentiment. Je lui répondis qu'ils étaient chantants, mais 
va pea petits i il en tomba d'accord avec moi, ajoutant qu'il les avait 
composés pour des religieuses de Dijon. Il oublia qu'il avait à sortir ; 
je restai chez lui jusqu'à cinq heures. A cette heure, il me proposa 
d'aller à la promenade, et nous restâmes hors de la ville jusqu'à la 



(1) Eod. loû. — Gauthier ne nous est connu que par o 
du Journal encyclopédique du i«r avril 176}, p. i2î : h Le Devin de 
Village, pièce charmante qui fera longtemps regretter la mort préma- 
turée de M. Gauthier, musicien de Lyon. » 

(a) Né i Lyon en 1736, mort dans cette ville le 2g août 1821. 

(3) Publiées par Musset- Pathay, Hist. de la vie et dis ouvrages de 
J.-J. RiMisseau, 1. 1, p. 461-72. 



LE THÉÂTRE A LYON 47 

Rousseau invita son nouvel ami à dîner pour le lende- 
main. — « Comment ! dîner avec Jean-Jacques , » s'é- 
cria Coignet, « de tout mon cœur ! » 

« Il m'embrassa. Le dîner fut fort gai; sa femme fut seule en tiers 
dans notre société. Nous trinquâmes, et nous étions à la deuxième 
bouteille, lorsque je lui dis que je craignais de m'enivrer ; il me ré- 
pondit en riant qu'il m'en connaîtrait mieux, attendu que le vin pous- 
sait en dehors le caractère. » 

« Après le dîner, il me communiqua son Pygtnaîion, et me proposa 
de le mettre en musique, dans le genre de la mélopée des Grecs. 

« Nous allâmes, pour le lire, dans un petit bois, situé non loin de 
la ville, planté sur une colline qui descendait dans un vallon : là, 
nous nous assîmes près d'un arbre sur la hauteur. Rousseau me dit : 
« Cet endroit ressemble au mont Héîicon, » A peine eut-il terminé sa 
lecture, qu'un orage, mêlé d'éclairs, de tonnerre, et accompagné d'une 
pluie à verse, vint fondre sur nous. Nous allâmes nous mettre à l'abri 
sous un vieux chêne. Ce local lui plut infiniment. Nous étions seuls 
dans cette solitude qui dépend d'une maison fermée dont je connais- 
sais le propriétaire, lequel se trouvait absent. Le temps redevenu 
serein, nous revînmes en ville, et nous soupâmes ensemble ; pendant 
le repas il raconta à sa femme notre aventure. » 

Chargé de la scène lyrique de Pygtitalion, Coignet se mit 
aussitôt à l'ouvrage et apporta le lendemain l'ouverture (i) 
à Rousseau, qui fut étonné de sa facilité et très satisfait. 
Le grand homme demanda au compositeur « de lui laisser 
faire Vandante^ entre V ouverture et le presto, de même que 
la ritournelle des coups de marteau, pour qu'il y eût 
quelque chose de lui dans cette musique. » 

La collaboration ainsi répartie, Touvrage fut bientôt 
achevé. M. de la Verpillière, prévôt des marchands, et sa 
femme, dont l'esprit et la distinction plaisaient fort à 
Rousseau, voulurent donner à M. et à M'"'' de Trudaine, 



(i) Une ouverture de Pygmalion fut exécutée au grand Concert dâ 
Lyon, en 1767 : était-elle de Rousseau ? 



48 LE THÉÂTRE A LYON 

qui passaient à Lyon, le plaisir de voir, les premiers, jouer 
Pygmalion sur un petit théâtre qu'ils avaient fait construire 
à THôtel-de-Ville où ils logeaient. 

Le théâtre de société était une fureur dans la seconde 
moitié du xvm* siècle. Mis à la mode par la cour, le goût 
de la comédie régnait dans le grand monde, et des mères 
comme M"'*' de Sabran donnaient à leurs enfants pour 
professeurs Larive et M^^^ Sainval (i). Des théâtres se 
dressaient dans les hôtels et dans les châteaux, et il n'était 
pas de procureur qui ne voulût avoir une troupe dans sa 
bastide. Aussi bien, les spectacles de salon avaient-ils 
leurs répertoires : c'était le Théâtre de Société de Collé ou 
les Proverbes dramatiques de Carmon telle. 

C'est sur la femme que le goût de la comédie exerçait 
la plus puissante séduction. Il la faisait monter sur les plan- 
ches et lui permettait d'être une actrice (2). 



(1) A Lyon, M^e Hus enseignait à danser dans plusieurs commu- 
nautés religieuses. 

(2) « Il lui donnait, disent MM. de Concourt, l'amusement des 
répétitions, Tenivrement de l'applaudissement. Il lui mettait aux joues 
le rouge du théâtre qu'elle était si fière de porter, et qu'elle gardait au 
souper qui suivait la représentation, après avoir fait semblant de se 
débarbouiller. Il mettait dans sa vie l'illusion de la comédie, le men- 
songe de la scène, les plaisirs des coulisses, l'ivresse que fait monter 
au cœur et dans la tête l'ivresse d'un public. Que lui faisait un travail 
de six semaines, une toilette de six heures, un jeûne de vingt-quatre? 
N'était-elle pas payée de tout ennui, de toute privation, de toute fati- 
gue, lorsqu'elle entendait à sa sortie de scène : « Ah I mon cœur, comme 

un ange! Comment peut-on jouer comme cela? Cest étonnant! Ne me 

faites donc pas pleurer comme ça ^..., Savez-vous que je nUn puis plus? » 

ff El quelle plus jolie invention pour satisfaire tous les goûts de la 
femme, toutes ses vanités, mettre en lumière toutes ses grâces^ en 
activité toutes ses coquetteries ! Pour quelques-unes, le théâtre était 
une vocation : il y avait, en effet, des génies de nature» de grandes 
conlédiennes et d'admirables chanteuses dans ces actrice3 de société. 






LE THÉÂTRE A LYON 49 

La représentation donnée à l'Hôtel-de- Ville attira toute 
l'aristocratie lyonnaise. M™* de Fleurieux remplissait le rôle 
de Galathée ; celui de Pygmalion était tenu par Le Texier, 
employé dans je ne sais quelle administration de la ville, 
mais si habile lecteur, que Voltaire lui-même, enchanté 
de son talent, écrivait à un de ses amis : « Entendez-le, 
il me ferait écouter F Evangile! (i) » On compléta la soirée 
par le Devin de Village^ où M""® de Fleurieux jouait Colette; 
Le Texier, Colin ^ et Horace Coignet, le Dann. « Les 
deux pièces furent bien rendues, dit ce dernier, et Pygmalion, 
qu'on entendait pour la première fois, fit le plus grand 
effet. Après la représentation, Rousseau vint m'embrasser 
dans le grand salon, où la société s'était rendue, en me 



ff Plus de dix de nos femmes du grand monde, dit le prince de Ligne, 
jouent et chantent mieux que ce que j'ai vu de mieux sur tous les 
théâtres. » Pour beaucoup, le théâtre était un passe-temps; pour 
un certain nombre, il était une occasion ; pour toutes, il était une 
fièvre, une fièvre et un enchantement qui n'était rompu qu'à ces mots: 
« Ces daines sont servies, » On courait souper ; car on avait à peine 
déjeûné pour être plus sûre de son organe. En passant, une glace 
faisait voir à une ou deux femmes que leurs épingles étaient tombées ; 
on pensait aux fautes. qu'on se ressouvenait d'avoir commises, on se 
disait : J'aurais dû dire ceci autrement. Puis on se rappelait que deux 
personnes, passant pour être bien ensemble, s'étaient parlé sur le troi- 
sième banc. On n'était plus comédienne, on redevenait femme, et la 
comédie finissait par une jalousie de talent, d'amant ou de figure y* {La 
femme au dîx-hîiitiéme siècle, ipar MM. Edmond et Jules de Concourt, 
I vol. in-i8. Charpentier, p. 131 à 137). 

(i) Le Texier, né à Paris, avait un emploi dans une administration 
où la dissipation de sa jeunesse le fit disposer de quelques fonds qui 
lui étaient confiés. Obligé de quitter Lyon, il se réfugia pendant quel- 
que temps auprès de Voltaire à Ferney ; il alk ensuite en Hollande et 
en Angleterre, où il fit des lectures publiques de comédies, genref dans 
lequel il excellait. Rentré en France en 18 14, il y mourut dans un âge 
avancé. V. Biog, univers. Note de Beuchot, Corresp, de Voltaire, n'>679i, 
Bachaum. Mém.secr., VII, 163, ai Paris, Versailles^ etc., I, 126. 



'l 



SO LE THÉÂTRE A LïON 

disant : Mon ami, wtre musique m'a arraché des pleurs, : 
Pendant les trois mois que Rousseau passa h Lyon, i 
assista avec son collaborateur aux concerts que donnai 
M. Cornabé, dont la faniiUe cultivait les arts. Il était invît 
à des repas homériques chez M. de la Verpillîère ; la co 
médie suivait le diner. On jouait la Comtesse de Fayel, tra 
gédie de société, sur le même sujet que GahrkUe de Vergy 
ou bien Mêlante, dont le rôle principal était si bien rempl 
par M""" de Fleurieux, que Rousseau, avec cette sensibiliti 
maladive qui donnait le ton à son siècle, répondit un soir i 
ceux qui lui demandaient s'il était content : « Voyez moi 
habit tout couvert de larmes ! » 

Le philosophe de Genève fut reçu à la campagne che; 
M"' Delessert et chez M"" veuve Boy de la Tour, d'uni 
bonne famille suisse, chez laquelle il passa quelques jour 
dans le site pittoresque de Rochecardon. Il herborisait 
admirait la nature, écrivait son nom sur les rochers 
Coignet chantait la romance du Devin de Village en s'ac 
compagnant sur le violon, et Rousseau se trouvait aux plu; 
beaux jours de sa vie. Il aurait sans doute prolongé soi 
séjour à Lyon sans une circonstance que Coignet nou; 
rapporte : 



• Voulant faire enteuiJie au grand Concert un motet qu'il aval 
composé, ii y avait alors vingt ans, Rousseau me chargea, à la pre 
mière répétition, de conduire l'orchestre. Les musiciens en prirent di 
['humeur contre lui, disant qu'il ne tes croyait donc pas capable 
l'accompagner sa musique. Celle-d, froide et sans effet, se ressentai 
il temps oCi il l'avait composée. Depuis, cet art avait fait des pa. 
le géants, en Italie, gtSce à Jomelli. Piccini, etc. ; en France, grâce : 
Philidor, Grétry, Monsigny. Des oreilles, déjà accoutumées à enten^ 
Jre leurs productions, ne purent être flattées du motet de Rousseau 
malgré l'enthousiasme que sa personne inspirait. 

« Enfin, son motet eut le sort que j'avais prévu ; il ne réussii 
point. Une nombreuse réunion était allée pour l'entendre. Rousseai; 



LE THEATRE A LÏON "5^ 

s'en prit aux musiciens. Le chagrin qu'il éprouva de ce mauvais succès 
le décida à quitter la ville (i). » 

Rousseau alla faire jouer à Paris son Pygmalion^ dont la 
renommée avait déjà entretenu les nobles faubourgs (2), 
où il fut aussi bien reçu qu'à Lyon. — Pendant Tété qui 
suivit, l'intendant Jacques de Flesselles fit représenter 
cette scène lyrique dans son château de Longchêne, près 
de Saint-Genis-Laval, avec la Mêlante de La Harpe (3). 

Au mois de Novembre 1773, la ville de Lyon reçut la 
visite de la jeune comtesse d^Artois (4), qui venait de se 
marier. ^(c L'entrée de la princesse eut lieu aux flambeaux. 
' Le lendemain, elle alla à la messe à midi, à la bibliothèque 
de l'Oratoire à cinq heures, et le soir à la comédie, où l'on 
jouait la Partie de Chasse d'Henri IV, de Collé, et le 
Déserteur, On se loua beaucoup de son honnêteté: elle fit 
au moins douze révérences en entrant et autant à son 
départ ; quoiqu'elle fût fort petite, on lui trouva un très- 
beau teint, de beaux yeux, les mains et la gorge fort bien. 
Le spectacle fut suivi d'un second feu d'artifice. » 

Ce fut vers le même temps que M™^ Lobreau engagea 
M^^^ Sainval la cadette, qui avait déjà obtenu à Paris un 
« succès prodigieux » et dont M"® Clairon trouvait le 



(i) Ce fut pendant le séjour de Rousseau à Lyon, que deux amants 
se donnèrent la mort aux environs de la ville, parce que les parents de 
la jeune fille s'opposaient à leur union; Rousseau leur fit une épitaphe.- 
Cette triste histoire a fourni le sujet de plusieurs pièces de théâtre. 

(2) Coignet prétend que Rousseau s'est laissé attribuer, dans les 
salons parisiens et dans le Mercure ^ la paternité exclusive de cet opéra, 
sans avoir jamais fait connaître son collaborateur. 

(3) Petite chron. lyon», 20 août 1770 (Rev. du Lyon., 2« série, t. V). 
{4) Marie-Thérèse de Savoie. — V. Petite Chron, (Rev, du Lyon., 

2c série, t. II). 



52 LE THÉÂTRE A LÏOM 

« talent réel et charmant ». Loin d'être jolie, maigre et 
assez chétive, mais moins laide que sa sœur, elle avait de 
la physionomie et mettait dans son jeu beaucoup d'âme et 
de sensibilité. Une maladie avait suspendu ses débuts i la 
Comédie-Française jusqu'au lo février 1773; M"' Rau- 
court avait surgi pendant son absence, elle était belle, et le 
parterre n'eut plus d'hommages que pour cette nouvelle 
étoile. M"" Sainval revint donc en province, et le Théâtre 
de Lyon retentit bientôt de ses succès. Elle y resta jusqu'au 
départ furtif pour la Russie de sa rivale dont l'astre avait 
pâli i son tour, et, le 6 juin 1776, elle rentra triomphale- 
ment i la Comédie-Française. Elle ne revint à Lyon qu'en 
1781, dans le plus mauvais état de santé et presque 
mourante (i). 

Depuis certaines lettres-patentes de 1764, les directeurs 
de spectacles ne recevaient pluç de subvention. A Lyon, 
les frais généraux de la direction s'élevaient à environ 
170,000 livres par an, quoique les acteurs ne fussent pas 
payés avec trop de prodigalité (2). Mais les directeurs 
jouissaient toujours gratuitement de la salle, et cela suffi- 
sait pour leur faire des envieux. 

Une compagnie de négociants lyonnais qui offrit, sous le 
nom d'un sieur Sordo, de payer à la caisse municipale un 
loyer de 30,000 livres, obtint, par l'entremise d'un sîeur 



([) Marie- Blanche Ahiary de Roquefort était née à Coursegoules, 
le 2 septembre 1752. — V. Galerie hist. des portraits el des comédtatsde 
lalrùiipede Voltaire. —Petit, cljron. (Rev. du Lyon., t. XIX). 

{2) On trouve des ijtats de paiement dans les mss de la ville, en 
1772-177Î : 

Fleury, emploi d'Audinot, recevait. . . . ^,000 livres. 
Hus pÈre « fils, maîtres de ballets. . . . 2,ïOO — 
M"° Hus, danseuse 800 — 



LE THEATRE A LYOM 53 

L..., chef de bureau au contrôle général, un arrêt du 
Conseil du Roi, en date du 19 février 1776, qui dépouillait 
M""® Lobreau du privilège des spectacles, et qui le leur 
concédait pendant trente années. Le consulat fut enchanté 
de cette combinaison qui mettait de l'argent dans sa caisse 
assez pauvre. Mais l'exercice du privilège dépendait du 
gouverneur, le duc de Villeroy. Sans perdre de temps, 
M""^ Lobreau écrivit à M. Bertin, ministre de la province : 

« Je doute qu'à cette condition cette Compagnie puisse contenter 

« les citoyens et avoir une troupe bien composée Vous ne souffrirez 

n point, Monseigneur, qu'une infortunée que vous avez protégée et que 
« vous daignez protéger encore, soit ainsi sacrifiée aux vues ambitieuses 
« de quelques esprits remuants qui, pour retirer ces 30,000 livres, corap- 
« tent augmenter les prix et se pourvoir de cette somme aux dépens 
« du public. Ayez pitié de mon sort, Monseigneur. J'ose espérer qu'il 
« ne sera pas dit que sous le Règne de V honnêteté, sous un ministre équi- 
« table, aucune injustice vienne accabler un sujet de S. M... (3 mars 
u 1776). » 

Le procureur général, Prost de Royer, prit sa défense et 
s'indigna. Pourtant, la directrice dut faire soumission, le 
II avril suivant, de payer à la ville la somme offerte par ses 
concurrents, pour conserver Texercice des spectacles. 
Ayant ensuite obtenu du consulat un rabais de 10,000 li- 
vres, elle fut de nouveau en butte aux vexations de Sordo, 
qu'un nouvel arrêt mit en possession du théâtre. Le public 
prit parti pour M""® Lobreau, et les acteurs se retirèrent en 
masse, prétendant qu'engagés envers elle, sa retraite rési- 
liait leurs traités (i). 

Active, persévérante, celle-ci parvint, malgré le mystère 
dont on avait enveloppé cette manœuvre, à se procurer une 
expédition en règle du traité qui la dépouillait si injuste- 

(i) Clerjon et Morin, i. vi, p. 438. 



54 LE THÉÂTRE A LYON 

ment, et par lequel les nouveaux entrepreneurs assuraient 
à L... dix-huit mille livres par année, pendant leur exploi- 
tation, et un pot-de-vin considérable. Munie de ces pièces, 
M™* Lobreau prit une chaise de poste, se rendit à Versailles, 
vit le duc de Villeroy qui faisait son service de capitaine 
des gardes, et obtint la faveur de présenter elle-même à la 
jeune reine un placet appuyé de pièces justificatives. 

Louis XVI fut instruit de l'odieuse injustice dont cette 
femme était victime. Déji prévenu contre Turgot pour 
quelque intrigue de palais, le roi fit appeler ce ministre : 
— « Votre chef de bureau L..., lui dit-il, est un firipon qui 
abuse de votre nom pour dépouiller les gens honnêtes et 
vendre les places à son profit. Faites-lui restituer ce qu'il a 
reçu pour la direction du spectacle de Lyon : que l'ancienne 
directrice soit remise dans ses droits et chassez cet 
homme. » 

La réprimande était aussi sévère qu'inattendue. Turgot, 
ne connaissant point cette affaire, répondit qu'il s'en infor- 
merait et que, si son commis était aussi coupable qu'on 
l'avait rapporté à Sa Majesté, il lui ferait infliger une dure 
punition. Le ministre, dont la conscience droite ne pouvait 
comprendre une bassesse, s'adressa à L... lui-même pour 
avoir ses informations, et celui-ci, ignorant la présence de 
M™® Lobreau à Paris, nia effrontément les imputations qui 
pesaient sur lui. Dupe de sa bonne foi, Turgot retourna 
chez le roi, soutint l'innocence de son subordonné et se 
plaignit amèrement de la méchanceté de ses calomniateurs. 
Louis XVIl'écouta patiemment, puis il tira de sa poche les 
papiers que la reine lui avait remis sur cette affaire, les jeta 
sur la table et tourna le dos, en disant : 

— « Je n'aime ni les fripons, ni ceux qui les soutien- 
nent! » 

Le lendemain, Turgot quitta le ministère; le roi le 



, L. A./ ^ Il naai»! I 



LE THÉÂTRE A LYON $$ 

remplaça par M. de Clugny, et un nouvel arrêt du conseil 
confirma le privilège de M""® Lobreau, moyennant l'obliga- 
tion de payer 30,000 livres de loyer (i). Ce rapprochement 
d'une anecdote de théâtre et d'un fait historique montre 
une fois de plus que la fortune politique tient souvent à de 
bien faibles causes. 

Plus tard, la directrice, n'ayant plus à craindre de concur- 
rence, réclama la remise du loyer ; mais le consulat ne crut 
pas devoir faire droit à cette demande : 

« Comment, répondit-on, pounrions-nous y être favorables, tandis 
que nos hôpitaux ont besoin des secours les plus prompts?... que 
la dette municipale monte peut-être à quarante miîlionSy et que tous 
les revenus de la ville sont réduits à deux millions trois cent trente-huit 
mille livres, compris les trente mille contestés par la directrice (2) ? » 

Ces raisons étaient excellentes. Mais la direction s'en- 
dettait. En 1779, on jugea à propos d'adjoindre à M™^ Lo- 
breau deux associés, Hus et Gaillard, qui cherchèrent à 
accroître les recettes par tous les moyens possibles. Ils fi- 
rent venir Préville, qui donna quelques représentations aux 
mois de novembre et décembre 1780; ils donnèrent des 
ballets-pantomimes, tels que les Quatre fils Aymon, d'Ar- 
nould, les Amours d'Enée et de Dtdon, de Noverre, et la 
Belle au bois dormant. Ces exhibitions « étaient très-plates 



(i) Dugas de Bois Saint-Just : Paris ^ Versailles et les Provinces^ t. I, 
p. 39. — Mémoires de Fleury. — Mémoire pour la direction des spec- 
tacles de Lyon, 1776 (mss. Biblioth. Coste). Le nouvel arrêt du Con- 
seil est du 31 mai 1776; il fut confirmé par deux arrêts d^s 22 janvier 
1777 et 1778. 

(2) Clerjon et Morin, loc. cit. — La ville avait créé en 1757 une 
place d'inspecteur de la salle des spectacles. Cette place fut supprimée 
en 1777, ^^ le sieur Morand, qui recevait une pension de'mille livres, 
comme titulaire, reçut $,000 livres à titre d'indemnité. (Arch. delà 
ville, mss.) 



56 LE THÉÂTRE A LÏON 

et les décorations, annoncées avec emphase, étaient trc 

vées des plus mesquines par les véritables connaisseurs 
Enfin, Hus et Gaillard exploitèrent la vogue de la o 
médie de société et prêtèrent leurs sujets à tous les sale 
qui payaient largement, si bien qu'un règlement du d 
de Villeroy, en date du 3 1 mars 1780, finit par leur int£ 
dire de donner des représentations dans les maisons par 
culières, cet usage étant préjudiciable au succès des speci 
des publics et détournant les acteurs du théâtre (i). 

-Malgré les embarras financiers de la direction, la trou 
était bien composée, et les chroniqueurs se plaisaient i 
reconnaître, avec ta pointe d'ironie qu'ils mêlaient \ It 
critique. Qu'on en juge par les termes dans lesquels s'i 
primait l'auteur de la Peljle chronique : 

« 17 juin 1781. — La petite pièce de la Soirù Villageoise a été as 
bien rendue. La neige u'étoit point mal, surtout sut les aibrcs; pi 
celle qui tomboit, i! arrivoit souvent qu'il n'en tomboit que d'un cô 
il y avoit jusqu'à !a perruque de Saint-Far (i), qui fatsoit le bdlly, 
en dtoit couverte. C'éioit la petite Frédéric, quijouoil à ravir le rôle 
Babet ; Saint-Aubin, l'amoureux; la Rosanibett. h mère; le gros Mu 
le père. On donnoit avec le Barbier de Sh'ilk, qui fut joué indig 
ment par le fameux Beaiiinemil, qui jouoît le comte, on le hua et sif 
M'i' Solier, autreracni M™* Hus la jeune, prend asseï bien, elle, 
rôles d'amoureuses coquettes. » 

<t 12 juillet. — La femme de Darboville a débuté; c'est une persoi 
assez jolie ; elle est au-dessus des Clairville, des Bouquet et des Frédi 
pour le jeu et la voix. Ainsi l'opéra comique est tnonlé stipirieuremnit. 
Le Gros (2)est enfin arrivé et a donné déji deux représentations d'i 
phée. A la première tout fut pitoyable, et il arriva ua accident qui 



(i) Petit, chron. déc. 1780, juin et juillet 1781. — Répert. lyona 
— Arch. mss. 

(2) Legtos (Josepli)t célèbre chanteur de i'Opéra (haute-conl 
17Î9-I79Î. — Tous les acteurs cités ici par le chroniqueur sont à 
s aujourd'hui, même « le fameux Beaumesnil, » 



LE THÉÂTRE A LYON $7 

beaucoup de bruit. Dans le ballet des Diables, que M. Désombrages ren- 
doit si bien, Hus le fils, en sortant de la caverne avec des torches et une 
plaque enflammée à Tesprit de vin sur Testomach, fit détacher cette 
plaque en gesticulant, et elle alla tomber dessus les spectateurs. » 



Pourtant^ soit que les acteurs ne fussent pas payés, soit 
que certain ballet de la Rose et du Bouton eût choqué quel- 
ques personnes, qui avaient prié le commandant (i) d'in- 
terposer son autorité pour qu'il ne parût plus, il y avait au 
théâtre un levain de cabale. Hus chassa deux actrices, entre 
autres la coquette Valville ; il y eut du tapage. Le comman- 
dant fit venir Hus^ qui l'apostropha en lui disant que 
« c'était lui qui faisait tout le bruit et était le seul cabaleur. » 
Le major se fâcha, comme bien on pense, ce ne fut cepen- 
dant que quatre mois après et à la suite d'une nouvelle im- 
pertinence, que le directeur fut disgracié et obligé, en 
venu d'une lettre de cachet, de quitter « le tripot » dans les 
vingt-quatre heures et la ville dans les huit jours. Mais si 
la vengeance est le plaisir des dieux, la clémence est le de- 
voir des administrateurs : au bout d'un mois, Hus rentra à 
la direction du Théâtre et, en janvier 1782, le balle.t de la 
Rose et du Bouton reparut sur l'affiche (2). 



I L'année théâtrale qui commença en avril 1782 amena sur 

l ' la scène lyonnaise un homme dont le nom devait avoir 

dans la suite une sinistre signification : c'était CoUot 
d'Herbois, le futur terroriste de Lyon. Né à Paris en 1750, 



(i) Joseph Vial, échevin, commandant en l'absence de M. Fay de 
Sathonay. — Petite chron. (Rev. du Lyon» t. xix), 14 août et 13 déc. 
1781. — Antoine Fay> seigneur de Sathonay, fut prévôt des marchands 
de 1779 à 1784. 

(2) Petit, clrron, eod. loc. 24 janvier 1782. 



58 LE THÉÂTRE A LYON 

d'une famille bourgeoise qui lui donna de Téducation, il 
avait, comme son collègue Billaud-Varennes, commencé 
par faire partie de la congrégation de l'Oratoire. Son nom 
de famille était Collot; devenu acteur, il se faisait appeler 
D'HERBOIS. Avant de venir à Lyon, il avait joué sur plu- 
sieurs théâtres de province et composé une dizaine de piè- 
ces médiocres. Leur date et le lieu de leur publication 
marquent la trace de son passage, à partir de 1772, à Bor- 
deaux, à Nantes, à Avignon, à Amiens, à Paris et à La 
Haye (i). Il paraît que dans le cours de ses pérégrinations 
le futur conventionnel ne fut pas d'une vertu à toute 
épreuve. « C'était un repris de justice^ » dit M°*^ Roland ; il 
avait été « condamné ^ dans le Midi, à un an de prison pour 
une vilaine action^ lorsqu'il courait les tréteaux, et pour \2i- 
(\\xq\[q plusieurs juges avaient opiné aux galères (2). » 

En 1782, Collot d'Herbois avait trente-deux ans. Il était 



(i) Collot d'Herbois avait publié successivement : 

Lucie ou Us Parents imprudents ^ drame, Bordeaux, 1772 ; Nantes, 

1774; Avignon, 1777; La Haye, 1781. 
Le Paysan magistrat, comédie en $ actes et en prose, imitée de Cal- 

déron, 1777. La ^e édition, que les biographes ne mentionnent pas, fut 

publiée à Lyon, chez Castaud, en 1782. 
Le vrai généreux ou les bons mariages , drame, Paris, 1777. ^ 

Le bon Angevin ou Y Homme de Cœur, comédie, Amiens, 1777. Q^fjUhA^O''^ 
Le nouveau Noslradamus ou les Fêtes pi'OvençaJes, comédie, Avignon 

1777. 
Le Bénéfice^ comédie, Paris, 1778. »- 

Les Français à Grenade ou VImpromptu de la guerre et de Yamcur, }jJÀt ^ 

Usinant loup-garou ou Monsieur Rodomont, comédÏQ y Paris, 1780. ]")'^ 

La Fête Dauphine ou le Monument français, Paris. 1781. 

Après une lacune de neuf années, qui furent celles de son séjour à 
Lyon, Collot d'Herbois reprit la suite de ses publications par V Inconnu 
ou le Préjugé vaincu (Paris, 1790). — V. Nouvelle hiogr, génér, 

(2) Mémoires dç Afme Roland^ édition Hachette, p. 224^ 



LE THÉÂTRE A LYON 59 

de taille moyenne, avec le teint brun, les cheveux noirs et 
crépus, le regard inquiet ; du reste, il était doué d'un assez 
beau visage et d'un organe sonore (« une grande force de 
poumons, » dit encore M™® Roland). Ces qualités physiques 
jointes à un vrai talent d'acteur lui conquirent bien vite la 
sympathie du public lyonnais, devant lequel il remplit avec 
succès l'emploi à^s grands premiers rôles comiques (i). Il faut 
rejeter comme inexacte l'assertion, généralement admise et 
reproduite par tous les biographes, d'après laquelle CoUot 
d'Herbois aurait été sifflé au Théâtre de Lyon et « aurait 
plus tard fait payer cher à cette malheureuse ville un acte 

de justice réclamé parle bon goût (2) » Le lecteur verra 

plus loin quelle est la source de cette erreur si accréditée 
et sur quelles preuves s'appuie l'opinion contraire. 

On n'aurait pas souffert longtemps un premier rôle sif- 
flé, dans « une des troupes les mieux composées qu'il y eût en 
province^ avec un spectacle tous les jours, et qui embrassait 
tous les genres, depuis le grand opéra jusqu'aux pièces des 
boulevards, depuis la tragédie jusqu'aux ballets-pantomimes, 
et des assemblées nombreuses et brillantes (3). » 

En 1783, a plusieurs circonstances contribuèrent hembel 
lir h spectacle, » L'archiduc et l'archiduchesse de Milan 
l'honorèrent de leur présence. Lemierre, Mercier, de Piis 



(i) On lit dans la Petite cb'onîque : « 10 mai 1782. — Collotd'Her- 
bois, nouvel acteur dans les grands rôles comiques, continue à faire plaisir 
(Rev. du Lyonnais, 2^ série, t. XIX, p. 461). » — Dans une lettre 
adressée aux auteurs du Journal de Paris et insérée dans le n» du 13 oc- 
tobre 1782, Coliot d'Herbois prend le titre à^ premier acteur du théâtre 
de Lyon, 

(2) S\c^ Biogr. univers, à^ Michaud, Nouvelle Biogr, gêner . (Didot), 
etc., etc. — Le Dictionnaire universel du XIX^ siècle^ de M. Larousse, 
est le seul, croyons-nous, qui ait rétabli la vérité sur ce point. 

(3) Jourfial de Lyon ou annonces et variétés littéraires, pour servir de 
suite aux Affiches de Lyon, par Mathon dç La Cour, 8 janvier 1783, 



60 LE THÉÂTRE A LYON 

et MarsoUier des Vivetières vinrent faire jouer à Lyon plu- 
sieurs de leurs ouvrages. Les tragédies de Guillaume Tell y 
à'Artaxerxe, de Barnevelt furent représentées pour la pre- 
mière fois. 

Céphise, comédie de MarsoUier, fit le plus grand plaisir : 
« Tous les traits, dit Matlion de La Cour, ont été sentis par 
les spectateurs et les rôles rendus avec beaucoup d'intelligencey 
de finesse et d'ensemble par M"*'"' Valville et Francheville, et 
MM. Chevalier, à'Herbois et Restier (i). » Larive fit une 
nouvelle apparition sur notre scène. Enfin, la fameuse 
M"^ Saint-Huberti (2), de l'Opéra, vint chanter pendant le 
carême dans plusieurs opéras comiques. Elle séduisit tout le 
monde : on la trouvait laide au lever du rideau, « mais, dès 
qu'elle ouvrait la bouche, on oubliait sa laideur et on la 
trouvait superbe. La vérité de son jeu touchant et passionné, 
son abandon sublime, la magie de son chant, la sensibilité 
de son organe, ses attitudes animées et pittoresques attirè- 
rent une affluence sans exemple de spectateurs émus, qui 
accueillaient chaque jour cette actrice inimitable avec des 
vers, des couronnes et des cris..'. » 

Par un singulier contraste, la même société qui applau- 
dissait chaque soir la Saint-Huberti, se pressait le matin, 
avide d'émotions nouvelles, dans l'église de l'Hôpital pour 
entendre un carme, prédicateur en renom, iQpère Hyacinthe^ 
qui avait été comédien, et qui, « avec beaucoup d'onction, 
des gestes trop significatifs et sentant le théâtre, prêchait 



(i) Restier, né à Lyon en 1726, y mourut en 1803. — V, Journal de 
Lyon. 

(2) Antoinette-Cécile Clavel, dite Saint-Huberti, née à Toul en 
1756, avait débuté, en 1777, à l'Opéra, où elle fit une réforme dans les 
costumes. Elle suivit à Londres, en 1791, le comte d'Entragues qu'elle 
avait épousé et fut assassinée avec lui, en 182 1. — V. Journal de Lyon^ 
1783. Petite chron, 20 mars et 3 juillet 1783. 



I 



• 



LE THÉÂTRE A LYON 6l 

contre les spectacles et faisait trembler tout son ?lidi- 
toire. » 

Ce fut à ce moment que M*"^ Lobreau quitta la direction, 
avec les deux hommes qu'on lui avait adjoints. Elle laissait 
80,000 livres de dettes, ce que les malveillants attribuaient 
à un gaspillage de sa part. Mais l'autorité ne fut pas de cet 
avis : M™*^ Lobreau fut remplacée par sa sœur. M"*" Des- 
touches, afin que l'ancienne directrice, « femme hahihy 
écrivait M. Fay de Sathonay à M. de la Verpillière^ aidât 
celle-ci de ses conseils et de son honnête expérience (5 avril 
1783). » Cependant, pour plus de garantie, on adjoignit à 
M^^^ Destouches un sieur Hachette de Villiers (i). 



(i) V Annuaire administratif de Lyon et du département du Rhône^ publié 
par la maison Mougin-Rusand, cite, à l'article Sainte-Foy, quelques 
habitations renommées de ce bourg si aimé des Lyonnais, et, entre au- 
tres, la maison de campagne de M»^* Lobreau, dont le propriétaire 
actuel a conservé avec soin le souvenir. 

tt Un chemin appelé les Etroits, dit V Annuaire, et qui a longtemps 
justifié son nom, dépend de Sainte-Foy; il suit la rive droite de la 
Saône jusqu'au pont de la Mulatière; le coteau, au bas duquel il est 
placé, est décoré de plusieurs maisons de plaisance entourées de jardins 
et de frais ombrages. De ce nombre est celle appelée la Maison Grise, 
qui appartenait naguère à M. Léon Cailhava et qui fut la demeure du 
célèbre sculpteur Jean Thierry ; plus haut, celle de M. Richard, sur- 
montée d'un observatoire ; celle dite le Château de Bellevue couverte en 
tuiles vernies ; enfin celle de M. Fougasse, qui appartenait, sous 
Louis XV, à Mnie Lobreau, directrice du théâtre de Lyon ; on y lit 
encore cette inscription, dans le salon où elle recevait ses administrés 
et les gens de lettres : 

a Certain proverbe dit qu*il nous est défendu 
De parler corde au logis d'un pendu. 
Vous qui lisez ces vers, la dame vous en prie, 
Ne parlez point ici de comédie, » 

Mme Lobreau étant morte depuis longtemps, il nous sera permis sans 
doute de dire que, dans celte villa charmante et si bien située, Larive a 
joué la comédie, Fleury a récité des vers, les artistes les plus goûtés du 



1 

I 



62 LE THÉÂTRE A LYON 

• 

M'"* Lobreau mourut le 5 septembre de Tannée sui- 
vante. Ce jour-là, il y eut relâche extraordinaire au Théâtre : 
« les comédiens crurent devoir cette marque de respect à 
une ancienne et bonne directrice, qui fut regrettée de tous 
et plus particulièrement des pauvres de la paroisse de Saîntr 
Pierre. » Saint-Aubin, régisseur d'un nouveau petit théâtre, 
Y Ambigu- Comique^ fit en l'honneur de la défunte cette épi- 
taphe, plus élogieuse pour cette femme que si elle était 
conçue en beaux vers : 

« Ci-gît, dont les vertus honorèrent Thalie, 
Qui pour plaire au public ne sut rien négliger, 
Et de tous hs plaisirs qu'on perd avec la vie 
Ne regretta que celui d'obliger (i). » 



public se sont fait entendre devant un aut^itoire de choix, et qu'aujour- 
d'hui encore, on y peut admirer certain nombre de portraits de ces 
acteurs et de ces actrices dont les noms resteront dans l'histoire de l'art. 

(i) Archives mss de la ville, passim. — Petit, chron, ^ Journal de 
Lyou, sept. 1784. — V Ambigu-Comique s' était récemment établi dans 
la salle Arnaud, à Saint-Clair, où l'on donnait depuis longtemps des 
spectacles d'enfants et de gymnasiarques. 

« Une petite troupe de 40 enfants, filles et garçons, installée à la 
salle d'Arnaud, sous le nom d' Ambigu-Comique et sous la direction de 
Frossard, maître de ballet, joue trois fois la semaine. Ils sont char- 
mants, font courir toute la ville, par l'ensemble, la précision qui règne 
dans leur danse, la finesse, le tact, le bien joué avec lequel ils rendent 
leurs différentes pièces qui, très-jolies, n'ont d'autre inconvénient que 
d'être un peu trop libres. (Rev. du Lyonn. t. XX, Petit, cJjron, ler mai 
1784). » — Une affiche conservée aux archives donne le programme 
de la réouverture de ce théâtre le 4 avril 1785 : « Arlequin Deucalion, 
compliment de M. de Saint- Aubin, &iï Elève de la Nature ou le Sauvage 
apprivoisé. » 

Il était fort inconvenant de faire figurer des enfants dans di:s ballets 
et des scènes grivoises. M. de Vergennes, ministre de Louis XVI, fit 
' cesser ce scandale en interdisant les spectacles d'enfants (Lettres du 7 
juillet 178s, archives de la ville^ mss. DD. Théâtre). 



LE THÉÂTRE A LYON 6j 

La première année de son administration, M"* Destou- 
ches fut forcée de recourir à des emprunts. Plusieurs ac- 
tionnaires avaient avancé des sommes considérables, et 
cependant la direction continuait à éprouver des pertes. 
Ceux-ci s'alarmèrent et voulurent être payés. Mais ils ne 
pouvaient l'être que par la création d'un certain nombre d'ac- 
tions nouvelles, dont une partie fût employée à la désinté- 
resser et l'autre à soutenir l'entreprise. Dans cette situation, 
M"* Destouches sollicita et obtint du duc de Villeroy l'au- 
torisation d'émettre un nombre d'actions déterminé (i), 
ce qui lui permit momentanément de faire face aux frais 
toujours croissants de la direction. 



V. 



Montgolfier et les ballons au Théâtre. — Les illustres visiteurs. — 
Mmes Vestris et Dugazon. — Cagliostro à Lyon. — Avalanches de 
fleurs. — Fabre d'Eglantine sifflé. — Départ de M^le Destouches. 
— Le Lycée ou Salon des Arts. — Direction de Collot d'Herbois. — 
Sa correspondance et ses réformes. — W^^ Feuchère. 

Avide de plaisirs et docile à tous les entraînements de 
la mode, le xviii*^ siècle , « l'âge d'or des chandelles 
romaines, » accueillit avec un enthousiasme incroyable les 
premières découvertes de la physique. Le ballon fut le grand 
divertissement de l'époque à laquelle nous arrivons. 

La France entière suivit avec une attention fiévreuse 



(i) Lyon ancien et mod,, t. II, p. 342 et suiv. — Un acte de société 
fut déposé chez M* Baroud, notaire, qui devait en recevoir le produit 
en qualité de séquestre. Les actions furent fixées à 500 livres chacune* 
Le porteur devait avoir l'entrée gratuite, le $ p. 0/0 par an, et une part 
dans les bénéfices. (Eod.loc). 



64 LE THÉÂTRE A LYON 

Tascension que fit Montgolfier à Lyon, le 19 janvier 1784. 
Une foule innombrable était accourue pour voir ce prodige. 
Les comtes de Laurencin, de Dompierre et d'Anglefort de 
la Porte, le prince Charles d' Aremberg-Ligne, venus exprès 
pour assister à cette merveilleuse expérience, enfin Pilâtre 
du Rozier et un M. Fontaine avaient pris place dans la 
nacelle à côté du célèbre inventeur. On sait que les voya- 
geurs aériens faillirent perdre la vie (i). 

Le soir, les étrangers envahirent le Théâtre où l'on jouait 
IphygénieenAulîde. Le spectacle était commencé, lorsque 
l'intendant, Jacques de Flesselles, et sa femme entrèrent 
dans leur loge, accompagnés de Montgolfier et de Pilâtre du 
Rozier. Au milieu des applaudissements et des cris du 
parterre, on baissa le rideau pour recommencer la repré- 
sentation. Puis, l'acteur Darboville, qui remplissait le rôle 
d'Agamemnon , présenta à l'intendante des couronnes 
qu'elle distribua aux sept voyageurs. Le spectacle fut 
repris, et lorsque M"° Clairville chanta, dans le rôle de 
Clj^emnestre : 

« Q.ue j'aime à voir ces hommages flatteurs , » 

elle se tourna vers les héros de la journée, qui furent 
reconduits, à la sortie du Théâtre, jusque chez le comman- 
dant, où un souper était servi. On ne cessa, pendant toute 
la nuit, de leur donner des sérénades (2). 

Depuis ce jour, la poésie, la gravure, la chanson, le 



(i) V. Mèm, secr. janv., fév. et 4 août 1784, sur la fin tragique du 
comte d'Anglefort. 

(2) Journal de Lyon, 19 janvier 1784. 



LE THEATRE A LYOK 



théâtre, tout se rapporta aux ballons. L'Académie de Lyon 
proposa, pour la direction des aérostats^ un prix dont 
Jacques de Flesselles et le marquis de Saint- Vincent pro- 
mettaient de faire les frais. Le 9 février suivant, le Théâtre 
donna la première représentation du Ballon^ ballet-panto- 
mime en trois actes, « dédié à MM. les Lyonnais amateurs 
de' Vaérostale (sic) ; ». quelques jours après, on exécuta un 
autre ballet, V Amour dans h Globe, où un détestable crispin 
figurait Montgolfier, et où l'on voyait un berger et une 
bergère s'enlevant dans un globe aérien. Enfin, on donna 
pour la première fois, le 21 février, la Mort d'Hercule, grand 
ballet héroïque, de la composition de Joubert, nouveau 
maître de ballets du Théâtre (i). 

Le roi de Suède, voyageant incognito sous le nom de^ 
comte de Hagûy arriva le 3 juin 1784, à quatre heures du 
soir, dans un mauvais « berlingot, » accompagné d'un de 
ses principaux officiers et d'un seul domestique. Il descen- 
dit à Y hôtel d'Artois, rue du Plat, prit un bain, fit sa toi- 
lette et parut le soir même au Théâtre, où l'on jouait la 
Fausse magie. On eut le soin de réclamer ses ordres pour 
le spectacle du lendemain ; le roi demanda Warwick, de 
La Harpe, et V Amant jaloux. Le 5, il se rendit aux Brot- 
tcaux, pour assister au départ de V aérostat de Fleurant, 
peintre lyonnais, qui avait donné à ce ballon le nom de 
Gustave, ce dont le prince fut fort touché. Fleurant fit l'as- 
cension avec une Lyonnaise, M"^^ Tible, la première femme 
qui soit montée dans les airs. Les deux voyageurs furent 
présentés au roi pendant le spectacle et furent accueillis 
par le public avec des couronnes et des guirlandes. De 



(1) TabUttes chronologiques, — Petite chroii,, 15 fév. 1784. (Rcv. du 
Lyon., t. XX). 

S 



66 LE THÉÂTRE A LYON 

toutes parts, le comte de Haga, malgré son incognito, 
reçut des vers et des couplets (i). 

• Le même été, Lyon eut la visite du prince Henri, frère 
du roi de Prusse, «petit homme très-laid, mais, assurait-on, 
plein d'esprit, » qui voyageait aussi incognito, sous le nom 
de comte d'Oels^ et qui. arrivait de Genève. Il alla tous les 
soirs au spectacle, où il y avait beaucoup de monde ; il 
parut même à un bal masqué, et il s'en alla, comme le roi 
de Suède, accablé de vers (2). 

Préville jouait alors au Théâtre, ainsi que M™* Vestris(3), 
pensionnaire du roi^ qui se faisait applaudir pour la pre- 
mière fois à Lyon. Dans les rôles (ÏAménaïdcy de Gahrielle 
de Vergyy de Rodogune, de Phèdre, cette actrice fit preuve 
d'un talent toujours décent et naturel : belle , pleine 
de dignité et de grâce, mais plutôt « faite pour plaire aux 
vrais connaisseurs que pour éblouir le vulgaire, elle char- 
mait plus qu'elle n'étonnait ; » ce qui n'empêcha pas les 
dilettanti, pour se conformer à une mode devenue fasti- 
dieuse, de lui prodiguer des vers et des bouquets, comme 
à un simple monarque. 

Quelques mois auparavant, M^^*' Sainval la cadette était 



(i) De Viran, sous le pseudonyme à'Anârieu, s'écriait dans le 
Journal de Lyon ; 

tt O vous que l'univers contemple, 
« Prenez Gustave pour exemple. 
A Le bonheur des sujets fait la gloire des rois. » 

(2) Journal de Lyon, 1784. — Pet, c^ro»., août 1784. (Rev. du Lyon, 
t. XX). — « Lyon, dit une correspondance du temps, commence à se 
lasser de la visite des souverains; rien de plus ennuyeux que la peine 
qu'on se donne pour les voir. » 

(3) Marie-Rose Gourgault-Dugazon, sœur de Dugazon et femme de 
Paco-Vestris (frère de Balthazar), élève de Lekain, 1746-1804. — 
Jonrn» de Lyon, 1784, passim. 



LE THÉÂTRE A LYON 67 

venue « cueillir de nouveaux lauriers » à Lyon et avait 
obtenu un succès toujours croissant dans Alzire et les 
Orphelins de la Chine^ dans Inès de CastrOy Didony ArianCy 
etc. Ces grandes comédiennes étaient « heureusement 
secondées par Chevalier et par ColIot-d'HerbaiSy » qui avait 
abordé la tragédie ery avait (aie plus grand succès. » Aussi, 
le compliment de clôture, prononcé par l'acteur Gervais, 
n'était-il pas déplacé cette fois, malgré la banalité de ses 
termes : 



tt L'année que nous terminons — disait-il — doit tenir sans doute 
le premier rang parmi les époques heureuses de notre théâtre. Jamais 
circonstances si rares et si favorables ne se sont succédé avec autant de 
rapidité pour notre gloire ; jamais assemblée plus nombreuse et plus auguste 
n'avait fait l'ornement de ces lieux (i). » 



Le départ de l'intendant Jacques de Flcsselles, au mois 
d'août suivant, mit la société lyonnaise au désespoir. On 
trouvait chez lui bonne table et grand monde ; en automne, 
on allait à Longchêne, où il donnait des fêtes et des repré- 
sentations^ dramatiques. Le château s'ouvrait à tous les 
artistes célèbres, les comédiens eux-mêmes y coudoyaient 
les grands seigneurs : le goût du plaisir avait détruit l'an- 
cienne étiquette, et certaine noblesse avait étourdiment 
compromis son blason. Terray, le nouvel intendant, qui 
venait de Limoges, « n'aimait pas la dépense, et sa femme, 
très-aimable, donnait dans la chimie (2). » 

La chimie, le magnétisme, le baquet de Mesmer : voilà 



(i) Journ. de Lyon y 1784, passim. 

(2) Pet. chron, loc. cit. 23 août 1784. — Au début de la Révolution, 
Jacques de Flesselles était prévôt des marchands à Paris. Il fut massa- 
cré par le peuple le jour de la prise de la Bastille. 




68 LE TfllÎATRH A LYOK 

le dernier mot du siècle « qui avait dans le sang le virus de 
toutes les curiosités. » Les miracles que la médecine ortho- 
doxe était impuissante à produire, on les demandait au 
charlatanisme. « Une superstition grossière, dit M.Anatole 
de Gallier, semble gagner tout ce qu'a perdu la foi. Parmi 
ces imposteurs vulgaires, conjurateurs de fantômes, cher- 
cheurs de pierre philosophalc, inventeurs de panacées, 
Cagliostro se dégage et remue les foules presque autant que 
Voltaire (i). » 

Déjà l'avocat lyonnais Nicolas Bergasse, célèbre surtout 
par le procès qu'il soutint contre Beaumarchais, et quel- 
ques médecins de Lyon, s'étaient occupé de ces questions 
brûlantes, lorsque, au mois de novembre 1784, Cagliostro 
vint préparer la fondation de la loge-mère de son rit égyp- 
tien. Le fameux aventurier ne partit que vers la fin du mois 
de janvier 1785 pour se rendre à Paris, après avoir fait 
dans notre ville un assez grand nombre de dupes (2). 

Beaumarchais, que l'on vient de nommer, faisait alors, 
dans les journaux de Paris, une croisade en faveur des 
pauvres mères-nourrices et leur offrait son droit d'auteur 
sur les représentations du Mariage de Figaro à Lyon. Les 
idées humanitaires ne restaient pas toujours à l'état de 
théories. Ce fut aussi au profit des pauvres mères-nourrices 



(i) La vie de Province au xviii« siècle, Paris^ Rouquette, i vol. în-8, 
p. 8$. 

{2) TahL chron, — On publia en 1784 : Discours sur le magnétisme, 
lu dans une assemblée du collège des médecins, le 15 septembre 1784, 
par M. O. Rian, Dublin (Lyon) in-8. — Aperçu sur le magnétisme ani- 
mal ou Résultat des observations faites à Lyon sur ce nouvel agent, par 
J. E. Gilibert, Genève (Lyon), in-8. — Détail des cures opérées à Lyon 
par le magnétisme animal, selon les principes de M, Mesmer, par M. Orélul, 
Lyon, Faucheux, in-8. — Rapport de l'un des commissaires (A.-L. 
de Jussieu) chargé par le roi de V examen du magnétisme animal, Paris, 
veuve Hérissant, 1784^ in-8. 



LE THÉÂTRE A LYON 



69 



qu'on donna, le 3 mars 1785, la première représentation de 
Norac et Javolciy drame en trois actes et efi prose, de Mar^ 
soliier, tiré des Mémoires de Beaumarchais. La recette 
s'éleva à 3,674 livres, que M"^ Destouches envoya au dépôt 
des secours (i). 

M"*^ Dugazon (2), de la Comédie Italienne, vinjt pour la 
première fois à Lyon au mois de mai 1785. Elle joua dans 
Biaise et Babety dans Y Amant jaloux et dans Rose et Colas. Un 
soir, on lui jeta d'une loge une couronne de laurier, de 
myrte et de roses, accompagnée de cqs vers de Patrat, 
acteur du théâtre de Lyon et auteur du Fou raisonnable : 

« Toi qui fais prendre à Part les traits de la nature, 

Qui, par une heureuse imposture, 
Caches toujours l'actrice, et montres tour à tour, 

Avec une aimable franchise, 

Ou Babety ou RosCy ou Louise ! 
Sous des traits enchanteurs, embellis par l'Amour, 

Tu nous séduis, tu nous maîtrises ; 

Tu fais de nous ce que tu veux. 
Tu peins l'Amour ? nous ressentons ses flammes ; 

Le plaisir brille dans tes yeux ? 

11 passe aussitôt dans nos âmes ; 

A la terreur on te voit succomber ? 

Chacun partage tes alarmes ; 

Et, lorsque tu verses des larmes, 
Oest au fond de nos caurs qu'elles viennent tomber! 
Nous avons cru devoir, en t'offrant nos hommages , 
Mêler à ces lauriers des myrtes et des fleurs : 
La gloire, en te comblant de toutes ses faveurs, 
Ne saurait à l'amour ôter ses avantages ; 
Et lorsque tes talents gagnent tous les suffrages, 

Tes charmes gagnent tous les cœurs. » 



(i) Pet, chron.y 16 novembre 1784. (Rev. du Lyon., 2^ série, t. V). 
— Tabl. chron» 

(2)L. Rosalie Dugazon, née à Berlin en 1755, mourut à Paris en 
1821. 



70 LE THÉÂTRE A LYON 

L'actrice voulait s'opposer à la lecture de ces vers ; mais 
le public les demanda à grands cris, et ils furent lus au 
milieu des applaudissements de toute la salle. Cet incident 
détermina le prévôt des marchands (i)à publier une ordon- 
nance, datée du 12 mai 1785, sur la police des spectacles, 
dont voici la teneur : 



« L'abus qu'on paraît vouloir renouveler, — disait-il, — en jetant sur 
le théâtre des couronnes et des bouquets avec des vers à la louange des 
acteurs ou actrices, ne saurait être toléré. Cette manière de leur témoi- 
gner le contentement que Ton ressent peut, en effet, entraîner de véri- 
tables inconvénients ; chacun voulant s'en servir pour faire connaître 
son opinion, il arriverait que le spectacle serait interrompu et troublé ; 
il arriverait peut-être aussi que ce moyeu , qui parait innocent 
à celui qui ne l'emploie qu'à la louange, serait également mis en usage 
par l'ennemi de quelque sujet pour le mortifier aux yeux du public, 
quoiqu'il ne lui fût pas désagréable. Une pareille licence, si elle avait 
lieu, ne pourrait qu'exciter du désordre, fomenter des cabales, et 
arrêter les progrès de quelques sujets du théâtre, dont les talents 
n'auraient besoin que d'être encouragés. 

« Par ces considérations, et après avoir ouï Marie-Pierre Prost, 
chevalier, avocat et procureur général de cette ville et communauté, 
nous avons ordonné et ordonnons ce qui suit ; 

if Art. I. — Défendons très-expressément, à peine de prison et d'inter- 
diction d'entrer aux spectacles, à toutes personnes, de quelque quaHté 
et condition qu'elles soient, de jeter ni faire jeter ^ sous quelque prétexte 
que ce puisse être, sur h théâtre , aucuns papiers attachés à des couronnes, 
bouquets, rubans, ou autrement. 

« Art. IL — Si, malgré toute la vigilance qui sera employée, l'on ne 
peut découvrir les personnes qui auraient jeté aucuns papiers sur le 
théâtre, ils seront aussitôt ramassés pour être remis à M. le comman- 
dant, et, dans aucuns cas, ils ne pourront être lus. 

(' Art. IIL — Défendons, sous peine d'interdiction de l'entrée aux 
spectacles, de demander la lecture des papiers qui auraient été jetés sur 
le théâtre. 

« Art. IV. — Ordonnons que tous particuliers qui auraient été 



(i) Tolozan de Monifort, qui succéda, en -784, à Antoine Fay de 
Saihonav. 



LE THEATRE A LYON 7I 

arrêtés pour avoir occasionné du tumulte, afin d'obtenir la lecture 
desdits papiers, seront emprisonnés et punis comme perturbateurs du 
repos public (i). » 



L*été ramena les étoiles parisiennes qui avaient repris 
leurs tournées en province. M"^ Saint-Huberti s'atrêta à 
Lyon au mois de juin et, en revenant du Midi, du 28 juillet 
au i**^ août; elle chanta dzns Iphigénie en Tauridcy dans 
AlcesU et Didon : « Il faudrait être sublime comme elle, » di- 
sait {^Journal de Lyon, « pour bien exprimer l'effet de ses 
mouvements. » Du 5 au 13 juillet, on joua le Mariage de 
Figaro^ qui n'avait pas encore été représenté à Lyon. Le 
18, M"*" Sainval la cadette reparut dans y4/z/r^; elle joua 
les jours suivants les rôles à' Electre ^ Zénobie, Chiméne, 
Ariane et Bérénice (2). Le célèbre Volange, acteur du 
Théâtre des Boulevards, plus connu sous le nom de Janoty 
amusait le parterre par ses saillies. Enfin, la troupe lyon- 
naise avait alors dans ses rangs un jeune homme qui devait, 
comme CoUot d'Herbois, jouer plus tard son rôle dans le 
drame révolutionnaire. 

Fabre d'Eglantine (3), sans fortune, livré de bonne 
heure à lui-même, n^ayant obtenu dans la carrière poéti- 
que qu'un prix aux Jeux Floraux de Toulouse, s'était fait 
acteur et avait paru sur les théâtres de Besançon, de Namur 
et de Genève; delà, il était venu à Lyon où le public l'a- 
vait mal accueilli. Plein d'orgueil, se sentant l'étoffe d'un 
auteur dramatique, Fabre résolut bientôt de se rendre à 
Paris pour y trouver la justification jde son talent. Mais, 



( r ) Journal de Lyon, 178$. 

(2) Journal de Lyon, 178$. 

(3) Fabre (Philippc-François-Nazaire), né à Limoux dans le Langue- 
doc, le 28 décembre 1755, fut exécuté à Paris, le 5 avril 1794. 



72 LE THÉÂTRE A LYON 

» 

avant de partir, il voulut essayef sur notre scène une de 
ses pièces, dont il annonça lui-même la représentation en 
ces termes : 

« Puisque vous aimez à me siffler, je vous annonce que Ton va vous 
donner une tragédie de ma façon, intitulée Vesta^ et que vous pourrez 
la siffler à votre aise. » 

Non content de cette effronterie, le venimeux acteur se 
vengea des sifflets par une satire d'un goût médiocre, où il 
disait : 

« Des remparts lyonnais me préservent les dieux !... 
Le multiple Barrême, Apollon de ces lieux, 

Y bouche les esprits, de son livre bizarre. 

Et d'un frais jouvenceau compose un vieil avare. 
Contraint par son talent, si quelque jeune esprit 

Y goûte de Boileau le poétique écrit, 
Plutus le déshérite, et-, grâce à Tanathème, 

Le génie est un vice et la rime un blasphème (i), » 

Ce fut en 1785 que Fabre d'Eglantine se rendit à Paris. 
Deux ans après, il fit jouer au Théâtre Italien son premier 
ouvrage, Les Gens de Lettres ou le Provincial à Paris, comé- 
die en 5 actes et en vers, qui eut une chute de scandale. 

Cependant, la situation du Théâtre restait compromise. 
Dans une lettre aux abonnés, M"*^ Destouches exposa que 
la direction payait 20,000 livres à la ville et donnait un 
spectacle tous les jours de Tannée, tandis qu'à l'arrivée de 
M""*^ Lobreau, la salle ne s'ouvrait que quatre fois par se- 
maine. Autrefois, les premiers acteurs de Paris venaient 



(i) Jourimî anecdoiiqicc, 3e année, le»" semestre, p. 264. — Mél. hiog. 
et lut, par Bréghot du Lut, Lyon, 182S. — Bréghot du Lut répète à 
son tour, avec aussi peu de fondement que les autres biographes, que 
Fabrç vint. « partager avec CoUot à'Herhois les sifflets des habitants. ?> 



LE THEATRE A LYON 



73 



pour dix louis ou pour cent écus par représentation : ils 
exigeaient maintenant cinq cents livres. Les recettes des 
speaacles s'élevaient en moyenne à cent quinze ou cent 
vingt mille livres par an ; les abonnements étaient trop 
nombreux et les prix trop modérés. Les entrées de faveur 
étaient extrêmement nombreuses ; tout ce qui était titré ou 
gradé, dans l'armée surtout, réclamait sans cesse ce privilège 
de nature à ruiner la caisse. On dînait tout de bon sur la 
scène, et les comptes de dépenses portaient à cet article 
le chiffre assez respectable de vingt livres par mois (i). Le 
Théâtre ne recevait que le quart des recettes des spectacles 
de passage. Le Concert n'était pas joint à la direction du 
Théâtre; la réunion serait favorable aux deux entreprises... 
Enfin, M"*" Destouches annonçait formellement qu'elle ne 
pourrait plus payer les acteurs (2) !... 

Les actionnaires répondirent en parlant de gaspillage; ils 
découvrirent que la direction était de plus de 300,000 livres 
au-dessous de ses affaires, et ils prétendirent que les frais 
nécessaires pour avoir de bonnes troupes à Lyon ne de- 
vaient pas dépasser 114,500 livres par an (3). Quelques- 
uns d'entre eux en vinrent à des poursuites^ et, au mois 



(i) N*en déplaise à M. Henri Chabrillat, rimpresarioder-^^wwwo/r, 
et à M. Emile Zola, Vînventeur du naturalisme. 

(2) Lettre de W^^ Destouches aux abonnés, ic août 1785. Arch. 
manusc. de la Ville, passim. 

(3) Suivant eux, ces frais devaient se répartir ainsi : 

lers rôles de comédiei 4,000 livres 

— d'opéra comique 3,000 — 

Corps de ballet 18,600 — 

Orchestre 10,400 — 

Employés 33»5oo — 

Directeur 5,000 — 

Total 114,500 livres. 



7l LE THÉÂTRE A LYON 

d'août 1785, M"'' Destouches fiit obligée de se retirer. Les 
acteurs reconnurent les préposés nommés par M. Tolozan 
de Montfort : M"* Valville, les sieurs Restier, Saint-Aubin, 
Chevalier et Saint-Fard ; ils se mirent en société pour con- 
tinuer les représentations. 

A la nouvelle de son remplacement, l'ancienne direc- 
trice se livra avec emportement à son dépit, — dont M. 
Tolozan de Montfort et le duc de Villeroy eurent le temps 
de s'entretenir dans une minutieuse correspondance ; — 
puis, elle partit pour Paris, où son associé, Hachette de 
Villiers, l'avait précédée depuis longtemps (i). La ville fit 
remise au Théâtre de l'arriéré du loyer, et l'année s'acheva 
sans secousses avec une troupe où figuraient M^^'Dugazon, 
Fleury, de l'Opéra, et Solié, qui reçut, le 18 mars 1786, un 
ordre de début pour la Comédie Italienne (2). 

On a vu que le duc de Villeroy attachait une grande im- 
portance à soft droit presque royal de concéder le privilège 
du Théâtre de Lyon. La lettre suivante, qui lui fut adressée 
le 14 février 1786, par M. Tolozan de Montfort, s'explique 
nettement à cet égard : 

« Pour tirer, — dit-il, — un parti vraimenl utile de Tentreprise des 
spectacles et la conduire à la satisfaction du public, la direction doit 
être confiée, non pas à un danseur, à un comédien, à un musicien, 
mais à des personnes honnêtes et intelligentes, réunissant les connaissances des 
diverses parties du théâtre^ pour ne pas sacrifier l'une à Tautre et être au 
contraire toujours en état d'offrir un spectacle varié, et que ces per- 
sonnes n'eussent à s'occuper, que de la régie qu'on leur confierait, 
parce qu'elle entraîne avec elle une infinité de détails assez importants 
pour employer tous leurs soins, toute leur autorité... » 



(i) Arch. manusc. de la Ville. Théâtre, passim. 
(2) J.-P. Soulier, dit Solié, Nîmes, 1755-1812. Archiv. mss., lettre 
de M. Terray. 



LE THEATRE A LYON 7) 

Rosambert parut remplir ces conditions et fut chargé, au 
mois d'avril, de la direction pour Tannée théâtrale 1786- 
1787 (i). Un seul fait relatif à notre scène mérite d'être 
signalé pendant cet espace de temps. Piccini, retournant à 
Naples en 1787, s'arrêta à Lyon, assista à une représenta- 
tion de Didon et fut au Théâtre l'objet* d'une brillante ova- 
tion. 

Au moment où Rosambert était nommé directeur, le 
gouvernement autorisait la création d'un Lycée ou Salon des 
Arts y dont l'ouverture eut lieu le 20 avril 1786, à quatre 
heures du soir, dans la grande salle du Concert, place des 
Cordeliers. Les concerts furent réorganisés sous la direction 
de Guillon de Loise^ qui y fit exécuter des morceaux de 
son opéra de Lausus et Lydie (2) ; M"^ Catelin y fît enten- 
dre les « ariettes de bravoure » de M'^* Saint-Huberti et, le 
5 décembre suivant, on y donna la i*"^ représentation de 
Nina^ comédie mêlée de chants, de MarsoUier des Vive- 
tières, musique de Dalayrac. 

Le Lycée ne se borna pas à donner des concerts : il 
voulut prendre deç airs d'université au petit pied. Des 
cours de sciences furent inaugurés : celui de Botanique 
et de Médecine domestique^ professé par Gilibert, ancien pro- 
fesseur à l'Université de Wilna et médecin du roi de Po- 
logne, eut lieu deux fois par semaine; le P. Estournel, mi- 
nime, professeur de Mathématiques ^ et Bonnefoy, professeur 
de Physique expérimentale^ se partagèrent les autres jours de 
la semaine; des cours d'anglais et d'italien furent ajoutés 



(i) Archives mss. 

(2) Guillon de Loise, poète et musicien, composa les paroles et la 
musique de Lausus et Lydie, opéra en 3 actes, qui fut représenté en 
1787 aa Théâtre de Lyon. — V. Alman. de Lyon pour Van VI, p. 1 16. 
Delandine, Catal, Théâtre. 



76 LE THÉÂTRE A LYON 

plus tard. Les lectures commençaient à cinq heures du soir, 
et la même salle s'ouvrait à six heures pour les concerts. 
Le Lycée était aussi une sorte de musée ou d'exposition 
permanente de tableaux, de dessins^ de machines et d'é- 
toffes. Cette excellente institution avait pour complément 
un cabinet de lecture, où les associés trouvaient les nou* 
veautés littéraires (i). 

Au mois d'avril 1787, on eut à pourvoir au remplace- 
ment de Rosambert qui, pendant son administration, n'a- 
vait pas donné précisément des preuves de génie. 

Collot d'Herbois, qu'on a vu jusqulci premier acteur 
dramatique, était parvenu à s'introduire dans la meilleure 
société par son esprit, par son prestige de bon acteur, par 
un certain art de tourner un couplet ou de lancer un ma- 
drigal. 

Sa situation d'homme marié et la modération apparente 
de son caractère achevèrent de gagner les suffrages et le fi- 
rent désigner pour la direction, avec un traitement fixe de 
6,000 livres, non compris son intérêt dans l'entreprise et 
un logement au Théâtre (2). 

Dès le début de son administration, Collot d'Herbois 
prit à cœur ses fonctions et s'en acquitta avec un zèle de 
néophyte. Comme il écrivait facilement, il écrivait beau- 
coup : tantôt au secrétaire du commandement pour procu- 
rer des loges à de grands personnages, tantôt à des direc- 



(i) Journal de Lyon, années 1786 et suiv., passim. 

(2) Le privilège nominal des spectacles de Lyon appartenait à un 
sieur René Lecomte, « bourgeois de Paris, » comme il est dit dans un 
acte d'engagement, in -40, aux armes du duc de Villeroy, qui est con- 
servé aux archives de la Ville. Collot-d'Herbois y est désigné comme 
« directeur préposé et intéressé' dans ladite ^itr éprise^ faisant tant en son nom 
qu'en celui de la datne d'Herbois y son épouse (29 août 1787)... » L«s blancs 
sont remplis de la main de CoUot-d'Hçrbois lui-mçme. 



LE THÉÂTRE A LYON 77 

teurs de troupes foraines pour les autoriser à donner des 
représentations (i). T^uis, le directeur du spectacle était 
tenu de présenter^ tous les lundis, au commandant de la 
ville le répertoire des pièces qu^on devait jouer pendant la 
semaine, et de mettre cet officier au courant de ce qui se 
passait au Théâtre. Aussi, une active correspondance fut- 
elle échangée entre CoUot-d'Herbois et M. Tolozan de. 
Montfort : 



ft Nous avons beaucoup de malades et d'embarras... » écrivait le di- 
directeur (8 mai 1787). « Le chapitre des accidents se multiplie de ma- 
nière à me désespérer. Voilà plus d'un mois que chaque jour amène un 
événement fâcheux, et cela deux minutes avant de faire l'annonce.... 
(14 juin). » 



L'acteur Lécuyer s^étaît enfui à Mâcon ; le directeur de- 
mandait les ordres nécessaires pour le faire ramener à Lyon 
en vertu de son engagement (5 décembre). Il entrait dans 
les plus menus détails de coulisses, une contestation entre 
M"'' Sainte-Marie et M"* Olier, l'opportunité de remplacer 
pour un rôle telle actrice par telle autre (23 octobre)... 
Voici, à titre de curiosité, la plus intéressante des lettres 
de Collot-d'Herbois qui ont été conservées aux archives de- 
la ville : 



(i) Archiv. mss., 8 mai 1787 : Lettre au secrétaire du commande- 
ment, pour obtenir une loge de première, pendant quelques jours, pour 
le duc de Sorentino et une dame du même rang. — Même date : Let- 
tre à M. de Saint-Amand, directeur du spectacle d'Auxerre, pour Tau-- 
toriser à faire jouer une troupe d'enfants dans la salle 4' Arnaud, rue 
des Deux- Angles, à Saint- Clair, 

Le directeur « des spectacles » donnait et retirait les permissions aux 
directeurs des spectacles forains et de variétés, et touchait une rétribu- 
tion sur leurs recettes. 



78 LE THÉÂTRE A LYON 

Cl Lyon', le 31 décembre 1787^ 
« Monsieur, 

« J'ai fait annoncer hier, pour aujourd'huy, le Mariage d* Antonio^ 
Messieurs Saint-Robert, Simon, Guilleminot, Lamanière (i), et ma- 
dame Girardin étant indisposés, c'est le seul opéra que je pouvois don- 
ner. Il ne Ta pas été depuis longtemps, il fait plaisir, et on y entend 
madame Darboville. » 

« Je consultai, avant d'annoncer, Mil« Sainte-Marie ; elle parut con- 
tente de jouer le rôle d'Antonio, qui lui* fait honneur. » 

« W^^ Sainte-Marie jouoit Nina et essuyât (sic) hier du désagrément 
en sortant du Théâtre. Pendant son rôle, elle fit dire qu'elle ne joue- 
roit pas aujourd'huy dans le Mariage d'Antonio annoncé ; elle m'envoya 
chercher, après la pièce de Nina, pour me le répéter ; je vins dans sa 
loge. » 

« Elle étoit mécontente, chagrine; je la consolai. Elle étoit fatiguée; 
je lui offris, de ma maison, tous les secours et tous les adoucissements 
qui pouvoient lui être agréables ; mais j'insistai sur l'impossibilité de 
changer le Mariage d' Antonio, Alors, furieuse et oubliant iouite honnê- 
teté, elle me dit de sortir de sa loge ; j'en suis sorti. » 

« Je ne demande pas. Monsieur, qu'elle soit punie de cette inso- 
lence; il n'est pas dans mes principes de faire punir une femme pour une 
offense personnelle ; je rougirois devant le public que cela pût arriver... 
Mais^ si mademoiselle Sainte-Marie refuse de jouer Antonio, je la dé- 
nonce pour que Tauthorité la ramène à ses devoirs. » 

« Cependant, Monsieur, l'affront que j'ai reçu de cette demoiselle 
m'a rappelé ce que je dois au titre de directeur, à mon caractère partie 
culier et à ma dignité de galant Jjomme, que rien n*a flétri jusqu'à ce mo- 
ment (2). » 

V Depuis que je suis chargé de la direction des speaacle^, aucune 
attention, aucuns égards ne m'ont coûté pour maintenir un certain 
équilibre dans Umts les caractères qui le composent. Au milieu d'un 



(i) Lamanière, musicien, compositeur^ de l'Académie de Lyon, 
mort le 28 juin 1808. V. Bulletin de Lyon du 2 juil. suiv. 

(2) Est-ce bien sûr ? Voilà une affirmation qui est contredite par 
M°*«. Rolland dans le passage cité plus haut. Malgré les rancunes per^ 
sonnelles que cette femme illustre avait gardées contre le compétiteur 
de son mari, il serait étrange qu'elle eût inventé la condamnation dont 
elle parle. 



LE THÉÂTRE A LYON 79 

nombre infini d'accidents, de contrariétés, rien ne m*a rebuté. J*ai 
toujours sacrifié avec plaisir ma tranquillité pour assurer celle des au- 
tres. Mais, cettt march, ]e le sens, n'est pas celle que je dévots tenir ; être 
mis par une pensionnaire hors d'une loge est un avertissement bien cruel, » 

a Je me propose donc. Monsieur, et nui santé m'en fait une loi, de 
charger le régisseur de tout ce qui concerne l'intérieur du Théâtre, lui 
faisant connoilre ce qu'il devra demander à chacun suivant ses engage- 
ments (i). Ce sera mon devoir, Monsieur, de vous informer des infrac- 
tions, et, malheureusement, j'aurai peut-être trop souvent lieu de vous 
importuner. » 

« Un mal de gorge violent, causé par des fatigues si excessives, de- 
puis huit jours, que je n'ay pu trouver un seul instant pour ine recom- 
fnander à vos bontés, causé encor par une insomnie continuelle, me 
force aujourd'huy à garder la chambre ; et je n'ay pu, autrement que 
par écrit, avoir l'honneur de vous informer de l'état critique où se 
trouve le spectacle, dans lequel votre haute prudence. Monsieur, peut 
seule ramener l'ordre convenable. » 

« J'ai l'honneur d'être, etc. « D'Herbois. » 

« P.- S. — En fermant cette lettre, je reçois un billet de mademoi- 
selle Olier, que j'ay l'honneur de joindre ici (2). Elle refuse de jouer, 
parce qu'elle a mal à la tête. Il faut observer que Mii« Olier n'a pas 
joué depuis mercredi dernier, et que, depuis ce temps, elle nous a fait 
connoître à tous, au Théâtre, par sa vivacité et sa gayeté, qu'elle étoit 
très-bien portante. Je crois pouvoir vous assurer que ceci est un ca- 
price : elle étoit hier au Théâtre, à l'annonce. Elle a de l'humeur, 
parce que, pendant la maladie de madame Darboville, on ne lui a pas 
fait jouer beaucoup de rôles qu'elle demandoit, mais que, pour des mo- 
tifs raisonnables et particuliers, on ne pouvoit lui donner. Cependant, 
j'ay eu l'attention de lui faire jouer la Servante Maîtresse, dont je pou- 
vois disposer. Le spectacle de ce soir est peu fatiguait, et si on ne joue 
pas le Mariage d'Antonio, il faudra fermer la porte ; on ne peut substi- 
tuer aucun autre opéra. » 



(i) Collot-d'HerbcMS rédigea en ce sens deux projets d*ordonnances, 
dont la substance sera mentionnée plus loin. 

(2) Voici ce billet dans sa forme naïve : — a Je préviens la direc- 
tion qui mest impossible de jouer aujourd'huy, étant indisposée des co- 
liques d'estomac et d'un grand mal de tête. On peut être persuadé de 
la peine que cela me fait. — Olier. » 

L'artiste récalcitrante tenait l'emploi de seconde amoureuse. 



8o LE THEATRE A LYON 

Quelles que fussent les blessures que son amour-propre 
eût à subir, l'attitude que prit le nouveau directeur vis-à«- 
vis de l'autorité plut infiniment au duc de Villeroy, qui en 
témoigna hautement sa satisfaction dans une lettre adressée 
de Paris aux prévôts des marchands, le 25 octobre 1787. 
Il louait « le zèle et Thonnêteté de la nouvelle compagnie, » 
qui n'avait mis jusqu'alors « aucune borne à ses sacrifices cl à 
ses efforts pour satisfaire le public... » et il ajoutait : « En 
mon particulier, Messieurs, je serai très-sensible à tout ce que 
vous voudrez bien faire pour l'avantage de cette compa- 
gnie (i). » A l'égard du public, Collot-d'Herbois usait 
aussi de procédés courtois; pendant sa direction, ilfit preuve, 
en diverses circonstances^ d'un esprit conciliant, et les 
personnes qui avaient des relations avec lui n'eurent ja- 
mais qu'à s'en féliciter (2).', 

Ainsi qu'il l'avait annoncé au commandant de la ville, il 
s'occupa aussitôt de rédiger deux projets d'ordonnances 
qui reçurent l'approbation de cet officier. L'un, qui con- 
cernait la Police intérieure du Théâtre, fixait le lever du ri- 
deau à cinq heures et demie précises, défendait l'entrée du 
spectacle aux enfants, à cause des cohues, aux chiens, à 
cause du bruit qu'ils font, aux valets et aux domestiques^ 
parce que les spectateurs continuaient, malgré Tinterdiction 



(t) Arch. mss. de la ville de Lyon. 

{2) Dans une lettre écrite au prévôt des marchands, un M. , Rivât, 
notaire à Lyon, qui avait eu à se plaindre de quelques employés du 
Théâtre, s'exprime en ces termes : — « J'ai reçu hier une lettre de 
M. d'Herbois, remplie d'excuses sur le procédé de ses portiers. Peu 
après, je l'ai rencontré et je ne puis rien ajouter à son honnêteté. Je lui ai 
annoncé que je ne pousserois pas plus loin la vengeance (ce sentiment 
n'ayant jamais été le mien) ; que, de votre consentement, je dispensois 
ses portiers de la prison ; qu'en un mot, oubliant l'injure, je pardonnois 
l'offense (11 mars 1788). » 



LE THÉÂTRE A LYON 8l 

formelle, à amener leurs gens, les actrices leurs coiffeurs et 
leurs tailleurs^ et que tout ce monde grouillant dans les 
vestibules pénétrait jusque dans les coulisses, qui ne de- 
vaient être abordées que par les parents des acteurs. 

L'autre projet, qui traitait des Répertoires y des répétitions et 
des représentations y concernait surtout les acteurs : « Ils ne 
pourront, disait l'article 9, rien changer ni ajouter à leurs 
rôles, complimenter le public, lui adresser la parole, ni 
lire aucun écrit jeté sur le théâtre, sans notre permission 
expresse (i). » 

Ces mesures d'ordre une fois prises, le directeur s'occupa 
d'une autre amélioration qui, dans sa pensée, devait aug- 
menter ses bénéfices, et qui avait été jusqu'alors obstiné- 
ment repoussée. Grâce à son influence, il obtint de 
construire, à ses frais, un quatrième rang de loges dans la 
salle de spectacle, par suite d'un traité passé avec le consu- 
lat le 21 février 1788, et ce travail fut exécuté, pendant la 
quinzaine de Pâques, par Morand, architecte du Théâtre. 
Mais une ordonnance royale du 27 mars suivant fixa le prix 
des places à 2 livres pour les deuxièmes loges, i livre 10 
sols pour les troisièmes et i livre pour les quatrièmes, de 
sorte que cette innovation ne contribua guère à l'augmen- 
tation des recettes (2). 

L'année théâtrale reprit son cours avec le printemps. La 
troupe avait fait de nouvelles recrues, parmi lesquelles il 
faut citer Joly et Dubus, jeunes premiers rôles de comédie, 
^me d'Ocquerre, qui jouait les reines et les mères nobles, 
et M"* Feuchère, les forts premiers rôles et les coquettes. 

Adélaïde-Thérèse Feuchère était une élève de Mole, 



(i) Ces deux documents sont écrits en entier et signés de la main 
de CoUot-d'Herbois. — V. Arch. mss. de la Ville. 
(2) Arch. mss. de la Ville, passim. 

6 



82 LE THÉÂTRE A LYON 

qui l'avait fait débuter, en 1783, à la Comédie-Française, à 
Tâge de quinze ans. Les critiques s'étaient plu à reconnaître 
le naturel, la vivacité et la grâce de la jeune et séduisante 
actrice. Mais un léger défaut de prononciation, qui était 
sans doute un charme pour ses admirateurs, l'empêcha 
d'entrer à la Comédie. Elle accepta un engagement à 
Stockholm dont elle fit pendant quatre ans « les délices, » 
jusqu'au jour où le Théâtre de Lyon se l'attacha (i). 



VI. 



Grimod de La Reynière. — Lettre à Mercier ou Tableau de Lyon en iy88. 

— Les femmes, la société, le luxe et la table. — M»e Dugazon et 
rhôtel de Milan. — M^e Feuchère-Grimod. — Grétry à Lyon. — 
CoUot-d'Herbois fut-il sifflé? — Contradiction de La Reynière. — 
Les comédiens sous Tancien régime. — Le théâtre révolutionnaire. 

— Les Céîestins, — Dans l'avenir. 



Au mois de juillet 1788, une chaise de poste amenait à 
Lyon un étrange personnage, coiflfé d'un énorme toupet (2), 
le nez recourbé en bec de perroquet et l'un des bras ter- 
miné par un moignon et une sorte de patte d'oie dissimulée 
par un gant à ressort. C'était Balthazar Grimod de La Rey- 



(i) Arch. mss. de la Ville. — V. Grimod de La Reynière et son groupe, 
par M. Gustave Desnoiresterres, i vol. in-i8, Didier. 
(2) Une chanson à son adresse disait : 

Qiangez-moi cette tête, 
Cette grimaude tête, 
Changez-moi cette tête, 
Tête de hérisson... 



LE THÉÂTRE A LYON 83 

nière (i), le plus fameux des originaux et des mystifica- 
teurs de son temps. Fils d'un fermier général de Paris, — 
qui était originaire de Lyon et qui avait épousé M"* de Ja- 
rente, sœur de Malesherbes et nièce de l'évêque d'Or- 
léans, — Grimod assez abandonné à lui-même dans son 
enfance, avait été élevé par M"*' Quinault la cadette, « fille 
de beaucoup d'esprit qui joignait un excellent cœur à un 
très-grand usage du monde, » et qui avait passé sa vie 
« dans la meilleure compagnie de la cour et de la ville, 
avec les hommes de lettres les plus célèbres du siècle. » 
Une autre gloire de la scène française, M"^ Luzy, avait pris 
l'enfant sur ses genoux et s'était amusée de ses saillies : oïl 
devine quelle influence avaient exercée sur le jeune homme 
l'institutrice par occasion et la célèbre actrice lyonnaise. Jl 
avait pris dans ces fréquentations d'artistes la passion du 
théâtre et le goût de l'excentricité poussé jusqu'à l'invrai- 
semblance ; si bien que le fermier général, fatigué de la 
prodigalité de son fils et du scandale qu'il faisait autour de 
son nom, avait fini par obtenir contre lui une lettre de ca- 
chet, en vertu de laquelle le baron de Breteuil l'avait fait 
séquester à l'abbaye de Domèvre, près de Nancy. 

En 1776, après sa délivrance, Grimod était venu passer 
six semaines à Lyon, où il avait « encore quelques parents 
et beaucoup d'amis. » Voulant « profiter de son séjour dans 
cttte ville céUbre^ipour payer un faible tribut de sensibilité à ses 
aimables citoyens^ » il s'était mis à écrire divers morceaux de 



(i) Alexandre-Balthazar-Laurent Grimod de La Reynière était né à 
Paris le 20 novembre 1758 ; il mourut en 1838. — V. Grimod de La 
Rfiynière et son groupeyipar M. Gustave Desnoiresterres, i vol. in-i8. 
L*auteur de cet ouvrage a rais à profit une série de lettres dont la Revue 
du Lyonnais a entrepris la publication en i855,50us le titre d^ Lettres 
inédites de Grimod de la Reynière à un Lyonnais de ses amis. Ces lettres 
sont fort longues et traitent des sujets les plus variés. 



84 LE THÉÂTRE A L\ON 

prose et de vers, parmi lesquels se trouvaient une épître 
fort déclamatoire, « A Monsieur de la Rive^ pensionnaire du 
roi y » que l'auteur prétendait 

Trop chéri des mortels pour être aimé des dieux, 

et une Lettre à Mercier^ auteur du Tableau de Paris, qui 
« voulait savoir son sentiment sur la ville de Lyon. » Mais 
ces fragments ne devaient être achevés et paraître que plus 
tard, avec ses Idées sur les poètes dramatiques, sous le titre 
de « Peu de chose, hommage à l'Académie de Lyon (i). » 
Les relations que La Reynière eut à Lyon avec CoUot- 
d'Herbois , qu'il cite dans sa Lettre à Mercier comme 
étant directeur du Théâtre, ne purent être antérieures à l'an- 
née 1788 (2). 

Avocat au parlement de Paris, Grimod avait quitté le pa- 
lais peu de temps après ses débuts, par suite d'un amour 
contrarié pour une cousine qui fut depuis M™® Mitoire, et 
s'était jeté dans la bohème Uttéraire. Grand-prêtre d'une as- 
sociation gastronomique, connue sous le nom de Déjeuners 
philosophiques y dont il avait été l'organisateur et où Mercier 
et Rétif de la Bretonne coudoyaient des écrivains comme 
Andrieux et Beaumarchais, des poètes comme Fontanes et 



(i) Peu de chosôy hommage à l'Académie de Lyon, par Grimod de La 
Reynière, 1788; Neuchâtel et Paris, broch. in-80, 64 p. L'auteur dit 
dans sa préface : « Cette ville, par les honneurs qu'elle rend aux talens 
dans tous les genres, a toujours inspiré aux poètes les sentiraens néces- 
saires pour les bien célébrer. >» 

(2) M. G. Desnoiresterres ignore que CoUot-d'Herbois ne fut direc- 
teur du théâtre que depuis 1787, lorsqu'il dit, dans son livre si cons- 
ciencieux, que Grimod, pendant son séjour à Lyon en 1776, écrivit la 
Lettre à Mercier et se lia avec Collot-d'Herbois. 



V 
l 



LE THÉÂTRE A LYON 8$ 

Joseph Chénier (i), notre excentrique s^était mêlé de plus 
en plus au monde des coulisses, et avait tenu la férule du 
critique dans la Lorgnette philosophique et dans ajournai des 
théâtres. Il passait pour un des aristarques les plus écoutés, 
lorsque, à Tépoque à laquelle nous sommes arrivés, il lui 
prit fantaisie de venir créer à Lyon une maison de com- 
merce (2). 

On vit, en effets s'établir dans la rue Mercière une sorte 
de bazar où Ton trouvait de l'épicerie, de la droguerie et 
même une fabrique de broderies en tous genres y avec cette 
enseigne : 

AUX MAGASINS DE MONTPELLIER 

Grimod et O. 

Le négociant improvisé avait trente ans. Subissait-il une 
vocation tardive et irrésistible ? Cédait-il à quelque attrac- 
tion d'un autre genre ? Suivait-il, comme le suppose un spi- 
rituel écrivain, M. Ch. Monselet, « l'exemple recommandé 
par Sedaine dans son personnage àuPhilosophe sans le savoir yCt 
négociant gentilhomme, qui enfouit ses titres dans un tiroir 



(i) Le fameux festin donné le i*»^ février 1783, en l'honneur de la 
mort de M^^e Quinault, fut un mélange inouï de cérémonies funéraires 
et de bouffonneries. Chaque invité reçut une lettre commençant 
ainsi : 

tt Vous êtes prié d'assister au convoi et enterrement d'un gueuleton qui 
sera donné par Messire Âlexandre-Balthazar-Laurent Grimod de La 
Reynière, écuyer, avocat au Parlement, en sa maison àts Chanips- 
Elysées... » 

La salle du festin était tendue de noir et chaque convive avait un 
cercueil derrière lui. Cette lugubre parodie fit tant de bruit, qu'on en 
donna, le 12 février suivant, une répétition à laquelle, dit-on, de grands 
personnages assistèrent incognito. 

(2) Ce fut à Lyon, en novembre 1789, que Grimod apprit la révo- 
cation de sa lettre de cachet. 



86 LE THÉÂTRE A LYON 

jusqu'au jour où, par son travail, il pourra leur rendre leur 
premier lustre (i) ? Etait-ce de la sagesse ou un regain d'ex- 
centricité, qui faisait du viveur parisien un marchand de 
denrées coloniales? La réponse serait difficile à faire. Il 
vaut mieux se reporter à ce que La Reynière écrivait au 
dramaturge Mercier, « ce philosophe courageux et sensible 
qui avait peint avec tant de grâce et d'énergie les travers et 
les ridicules » parisiens. Cette lettre, qui était destinée à 
faire le pendant du Tableau de PariSy pourrait s'intituler à 
son tour : Tableau de Lyon en 1788 (2). 

L'enthousiaste auteur pense de notre cité « ce qu un amant 
pense de sa maîtresse... » Il vante « l'agrément de la ville, 
la beauté de ses monuments, l'étendue de sqs superbes quais, 
la propreté de ses rues, l'excellente administration de ses 
hôpitaux, l'ordre admirable qui règne dans sa police » : 

« Les rues sont aussi sûres la nuit que le jour; et, quoique le nom- 
bre des préposés à la sûreté publique soit infiniment limité, les désor- 
dres y sont extrêmement rares pour une population qui excède 200,000 
habitants. Les marchés sont propres et bien fournis, et de sages lois em- 
pêchent les monopoleurs d'affamer, par une activité coupable, le 
citoyen pauvre qui mesure sa subsistance au produit de son travail... » 

« Cette ville est tout entière au commerce, et c'est peut-être à l'acti- 
vité qu'il commande qu'elle doit ses vertus.... Si les fortunes y sont 
moins excessives (qu'à Paris), les besoins y sont moins impérieux... » 

« De cette activité qui se porte à tous les endroits de la ville, il ré- 
sulte un tableau fait pour intéresser l'observateur. A Paris, on court, on 
se presse, parce qu'on y est oisif. Ici, l'on marche posément, parce que 
l'on y est occupé. Le négociant, le marchand, l'artisan, l'ouvrier, tous 
songent à leurs affaires en les faisant. Tous portent sur leur visage 
l'empreinte de la réflexion, et l'on voit que si leur intérêt les occupe, cet 
intérêt n'est pas fondé sur le malheur des autres. Le commerçant doit ai- 
mer sa patrie, le rentier n^aime que lui-même, » 



(i) Gastronomie, par M. Charles Monselet, i vol. in- 18. 
(2) C'est ce qu'a fait Léon Boitel en rééditant cette pièce curieuse en 
184} (tirée à 100 exemplaires ia-S®,) 



LE THÉÂTRE A LYON 87 

Serait-ce par patriotisme que Grimod avait dépouillé 
le rentier pour revêtir le commerçant ?... Mais passons : 

« V industrie est poussée ici au dernier degré de perfection, La main- 
d'œuvre y est à bas prix, et Ton y exécute des ouvrages admirables avec 
des sommes modiques. L'ouvrier se contente d'un léger bénéfice : le 
fabricant aime mieux accroître modérément ses fonds par une prompte 
circulation, que d'essayer de les doubler par les risques inséparables 
d'une longue attente. Les affaires s'y font avec une promptitude, une 
confiance, une bonne foi, que je n*ai vues qu'ici^ et qui peut-être ne pour- 
raient exister ailleurs. Les faillites y sont très-rares, et plutôt l'effet du 
malheur que l'ouvrage de la cupidité : enfin, l'on peut dire que si le 
dieu du commerce a fondé à Lyon son principal temple, il n'y est honoré 
que par des mains pures et n'y reçoit que des victimes sans taches» » 

Malgré ce lyrisme au sujet du commerce, il ne faudrait 
pas croire que le lettré, le voluptueux excentrique fût com- 
plètement mort chez La Reynière au moment où il écrivait 
ces lignes (i). 

« Si nous passons à l'état des sciences, àts lettres et des arts, vous se- 
rez surpris de leurs progrès au milieu des calculs de l'intérêt et des soins 
du négoce. Le Lyonnais a naturellement de l'esprit ; il conçoit facile- 
ment, il s'exprime avec grâce ; il a pour les étrangers cette affabilité qui 
naît d'un cœur confiant et facile, et qu'il faut distinguer de cette poli- 
tesse étudiée, masque d'une âme stérile qu'on donne et qu'on prend si 
souvent à Paris pour un véritable intérêt... » 

« (Cette ville) renferme un grand nombre de savans et de littérateurs 
illustres... Les gens de lettres les plus célèbres de la capitale sont au 
nombre de ses associés (2)^ et les noms des académiciens résidens prou- 
vent combien l'on chérit et l'on cultive à Lyon les arts, les sciences et 
la littérature. » 



(i) Il venait d'ouvrir à Lyon une souscription pour la publication 
d'un ouvrage qui devait avoir 4 vol. in-S», dits Considérations sur Vart 
dramatique. Cet ouvrage n'a pas paru. 

(2) Entre autres, Thomas, DuciS; l'abbé Morellet, 



88 I^ THÉÂTRE A LYON 

N'oublions pas que l'auteur dédiait sa brochure à TAca- 
démie de Lyon. Mais il n'est pas moins galant pour 4es 
Lyonnaises que pour la docte compagnie : 

(( Le sexe est ici beaucoup plus "beau qu'à Paris, Les femmes y ont de la 
fraîcheur, de la grâce et de cette finesse qui rend aimable jusqu'à la lai- 
deur. Leurs yeux sont très-expressifs, leurs gestes animés, leur langage 
doux et séduisant ; elles annoncent, dès leur plus tendre enfance, un 
esprit très-actif... Elles paraissent aimer beaucoup la. parure, mais plus 
encore la propreté ; c'est donc en elles moins un projet de séduire qu'un 
besoin de plaire, qui relève le prix des autres vertus quand il est,comme 
ici, contenu dans les bornes de la décence. Les ménages y sont très- 
unis... » 



Impossible d'être plus flatteur! Il est vrai que les femmes 
de la province étaient mieux conservées que celles de Pa- 
ris; elles menaient une vie moins dissipée et faisaient un 
usage plus rare ou nul du rouge, qui gâtait vite le teint. 
Q.uant aux vertus domestiques, a la corruption du siècle, 
très-intense sur certains points, ne les avait pas ébranlées 
aussi profondément qu'aujourd'hui dans la masse de la na- 
tion, et l'on s'exposerait à commettre de singulières erreurs 
en jugeant toute une époque d'après quelques scandales 
éclatants du grand monde (i). » Les Lyonnaises, bien éle- 
vées dans quelque couvent, comme le prieuré de Saint- 
Benoît, situé quai Saint- Vincent, gardaient généralement le 
respect du lien conjugal et le goût de la vie de famille. 
« Dans les hôtels du quartier Bellecour, bâtis par une no- 
blesse généralement récente, à l'aide des richesses amassées 
aux générations précédentes dans le commerce, morcelés 
et disparus aujourd'hui devant la cherté croissante des em- 



(i) La vie de province au xvm« iiicU , par M. Anatok de Gallier, 
page 48. 



XE THÉÂTRE A LYOK % 

placements et les grandes percées de l'édilitë du second 
Empire, la vie mondaine était tempérée par une sévérité 
quelque peu janséniste et une simplicité native de mœurs 
à laquelle la dignité ne perdait rien (i). » Grimod cite avec 
admiration M"^ Regny, femme du trésorier de la ville, qui 
avait allaité ses huit enfants, ce qui était rare alors, et 
poussé la charité jusqu'à céder sa maison et son propre lit à 
de pauvres malades. 

Pourtant, le luxe et le goût du plaisir faisaient « à Lyon^ 
comme ailleurs, de très-grands progrès. » Ils se donnaient 
libre carrière sur le terrain neutre des réceptions oflSiçielles^ 
chez le commandant, chez le prévôt des marchands ou Tin- 
tendant de la province (2). Mais c'était « plutôt un luxe de 
commodité que d'ostentation. » Tout le monde était vêtu 
« avec beaucoup d'élégance ; les classes même les moins 
opulentes s'annonçaient par un extérieur très-séduisant (3).» 
Les femmes avaient leurs coifieurs et leurs tailleurs attitrés; 
Bordas, tailleur et magasinier du Théâtre, faisait « des corps. 
li V anglaise pour les dames de distinction, » et avait mis à 
la mode le corps à la grecque. Les fourrures étaient surtout 
en grande vogue, et il était de bon ton d'arriver au specta- 
cle vêtue des plus belles et des plus rares, et de les dé- 
pouiller peu à peu pour en étaler les richesses (4). 



(i) Za vU de province, p. 25. 

(2) « A Toccasion de son entrée en charge, M. de La Verpillière 
donna un magnifique bal costumé, où Ton avait adopté les modes delà 
cour de Louis XIV et qui donna lieu à beaucoup dHntrigues et de riva'^ 
lités entre les belles dames appelées à y figurer. Tous les jours, il fai^ 
sait asseoir à sa table plus de cinquante personnes, avec la plus grande 
chère du monde. » (La vie de province, p. 26)^ 

(3) LeUre à Mercier. 

(4) « Dupré, natif de cette ville, élève du sieur Pilloir, habille coêf- 
feur pour dames. » ^ « Le sieur Bordas, tailleur en chef de la Corné* 



90 LE THÉÂTRE A LYON 

Le gastronome émérite» le futur auteur de VAlmanach 
des Gourmands ne pouvait oublier la table. C'est avec con- 
viction qu'il poursuit : 

« L'éclat de Ja garde-robe ne nuit point à la solidité de la cuisine. Les ta- 
bles sont servies avec abondance et délicatesse, les maîtres en font les 
honneurs avec plaisir, les femmes avec grâce ; et Ton voit, à la gaîté 
qui y règne, que ce plaisir n'est point factice et que cette grâce n'est 
pas étudiée. » 

ff Le souper paraît être ici le repas le plus agréable ; toutes les affaires 
étant finies avec le jour, chacun se livre plus volontiers à la joie de se 
retrouver ensemble. D'ailleurs, la lumière inspire une certaine ivresse, 
que le soleil le plus brillant ne produit jamais... J'ai assisté à quelques- 
uns de ces soupers, et je vous avoue que je les préfère aux plus brillants 
de la capitale. H y règne une aisance, une aménité, un ton de bonho- 
mie qui n'exclut ni les grâces, ni la saillie, ni même l'épigranmie \ 
mais son tranchant est émoussé par la gaîté... » 



die, loue tant pour les Bals du Théâtre que pour ceux de la Ville, de 
très-beaux dominos et habits de caractère. Il vend des gants et des 
masques ; on le trouvera tous les jours chez le sieur Gamler, près de la 
Comédie, au Café d'Apollon {Affiches de Lyon^ 1 761 et 1763). » 

La vogue de la martre zibeline, de l'hermine^ du petit gris, du loup 
cervier, de la loutre, est indiquée dans les Etrennes fourrées dédiées aux 
jeunes frileuses * (Genève, 1770). Voici de curieux détails sur les cos- 
tumes d'hommes : 

« Le sieur Rey, maître tailleur, fournit l'habit complet de velours 
ras à 3 poils, doublé de soie, à 250 liv. ; Thabit de velours d la Reine, 
doublé de soie, 165 liv.; le surtout complet de drap de Silésie^ doublé 
en coton, 60 livres. L'habit de camelot poil, doublé de soie, â boutons 
et jartières d'argent, 120 livres. L'habit de Péruvienne, complet, dou- 
blé de soie, 1 30 liv.Le surtout de camelot mi-soie, complet, doublé en toile 
de coton^ 53 liv.; le surtout complet de camelot écarlate, doublé de 
toile blanche, 42 liv.; veste de cirsakas^ en dorure et nuances, doublée 
en toile de coton, 30 livres ; veste de coton, en dorure et nuances, dou- 
blée de toile, 12 liv.; redingote â VEcuyère, veste et culotte, de camelot 
mi-soie, galonnées d'argent avec les jartières de même, 70 livres. — 
Pour la livrée, surtout, veste et culotte de Maroc croisé, doublés de 
tQile, sans les boutons, 38 \vn^ {Affiches de Lyon, 19 avri} 1761). ^ 



LE THÉÂTRE A LYON 9I 

Il essaya même de renouveler à Lyon les fameuses aga- 
pes parisiennes. A son arrivée, il était descendu à Y Hôtel de 
Milan j « la meilleure auberge » de la ville ; là, avec quel- 
ques amis, Grimod prolongeait « l'orgie souvent jusqu'au 
jour » et trouvait moyen « sans vin, sans scandales, sans 
femmes, de passer des nuits fort agréables. » Au nombre 
des convives, il y avait « ce petit gueux d'abbé Barthélémy, 
de Grenoble, » un original, auteur de la Grammaire des 
dames et de la Cantatrice grammairienne^ qui était « charmant 
à mystifier » et parfaitement à sa place dans ces soupers 
moins attiques que divertissants. Quant au chevalier Aude, 
ancien 3ecrétaire de BufFon, auteur de Cadet-Roussel et de 
Madame Angot^ c'était un homme d'esprit, d'un commerce 
agréable^ « doué d'une mémoire admirable, d'une sensibi- 
lité exagérée, d'une vaste littérature et d'un goût assez dé- 
licat. Il faisait le charme des conversations par sa gaîté, son 
savoir, son imagination vive et poétique, et la variété de 
ses connaissances; ^ malheureusement, « le goût de la 
crapule avait tout étouffé dans son âme. » 

La Reynière parle aussi d'un comte de L... qui avait été 
élevé^ comme lui, sur les genoux de la Comédie-Française 
et qu'il avait retrouvé à Lyon. On donna d'autres soupers à 
la Croix de Saint-Louis : « Le petit abbé y était encore, 
mais N. et le chevalier Aude n'y étaient plus. » Jacques 
Pitt, docteur en médecine, plus tard rédacteur du Journal 
de Lyon, les avait remplacés. « Les dames y étaient ad- 
mises, les ris immodérés en étaient bannis, le ton était 
moins brusque, plus décent. Mais on pouvait s'y amuser 
encore (i). » 

Grimod haïssait le jeu, « cette invention nie pour mettre 



(i) Revue du Lyonnais^ icr mars 1856, t. xii, p. 250. (Lettrt de Gri- 
mod de îaRiynihp à un Lyonnais d^ w amis^ B6:icrs, 26 août lyjj). — 



93 LE THÉÂTRE A LYON 

rhamme d'esprit de niveau avec les sots, ce puéril ou dangereux 
emploi du temps^ qui fait perdre les plus belles heures du 
jour à remuer de grossières images, ou qui mine en peu de 
temps les fortunes les mieux établies. » Le jeu fut une des 
plaies du xvm* siècle. A Lyon, les cartes avaient long- 
temps tenu la première place dans les salons, chez le pré- 
vôt des marchands lui-même (i), et des jeunes gens de fa- 
mille s'étaient ruinés dans le meilleur monde. Mais cette 
passion s'éteignît peu à peu. Lorsque Grimod écrivait, ce 
n'était plus « qu'un usage auquel on n'osait pas encore se 
soustraire » : 

« On joue. — dit-il, — pour s'amuser; mais joue qui veut. Dans 
une assemblée de quinze personnes, je n'ai vu que deux tapis verts, et 
leurs acteurs même prenaient souvent part à la conversation. » 

H n'était pas inutile de faire connaître les appréciations 
du bienveillant critique sur la société lyonnaise au milieu 
de laquelle il allait vivre. D'ailleurs, les citations qu'on vient 
de lire peuvent servir de cadre à ce qu'il dit du théâtre de 
Lyon. 

« Le spectacle, — dit Grimod de La Reynière, — est ici 
(à Lyon) le principal et presque le seul amusement ; c'est 
le rendez-vous diurne de tous les gens occupés; c'est là 
qu'ils viennent se délasser l'esprit et lier pour le soir quel- 



Grimod de La Reynière d son groupe, par G. Desnoîresterres. — Jacques 
Pitt, né à Montbrison vers 1746, mort à Lyon le 2 janvier 1803, de 
l'Académie de Lyon. 

(i) « Il dut y avoir hier à THôtel-de- Ville un petit trente et qua- 
rante, à la suite du vingt-un. M. de la Verpillière a promis de faire ces- 
ser tous ces jeux de hasard après le mardi gras ; mais il serait bien diffi- 
cile de Tarrêter dans toute sa force. D'ailleurs, le profit des cartes est 
trop considérable pour qu'on l'abandonne. (Lettre s. d.; écrite vers 
1770, citée pgr M. A- dç Gallier dans la vie deprovince, p. 35). » 



LE THÉÂTRE A LYON 93 

ques soupers aimables. Ce spectacle présente un bon en- 
semble ; mais vous savez que l'opéra comique a chassé 
Melpomène et Thalie de presque tous les théâtres de pro- 
vince. Le public, qui fait de la comédie plutôt une récréa- 
tion qu'une étude (i)^ préfère une jolie ariette, bien chan- 
tée, à une belle tirade, quelquefois mal rendue. Je suis trop, 
poli pour décider y à Lyon, quil ait tout à fait tort ; mais je 
gémirai avec vous sur ce goût exclusif, qui ne permet plus 
aux sujets de se former, et qui amènera tôt ou tard la déca- 
dence de l'art* » 

On voit que l'homme de goût, le classique, qui avait été 
presque bercé au bruit des hexamètres, qui allait publier, à 
ce moment même, des Idées souvent neuves et parfoistrès- 
fines sur nos grands poètes dramatiques (2), croyait devoir 
s'élever, malgré tout le désir qu'il avait de rester indulgent, 
contre les progrès de la littérature facile qui envahissait 
déjà la scène. H achève ainsi : 

« Afin de contenter tous les goûts, il a donc fallu faire 
ici marcher de front les trois genres : la déclamation, le 
chant et la chorégraphie . Ces deux dernières parties du spec- 
tacle laissent peu de chose à désirer : la première oflFre 



(i) Le Bulletin deLyon^ du 31 décembre 1806, dira du même public : 
ce Le Lyonnais ne se hâte pas de prononcer ses jugements. Il n'est 
point enthousiaste aveugle, ni prévenu ; il écoute, il examine ; mais 
quand il a reconnu le mérite, il se plaît à lui rendre justice entière... » 
On peut rapprocher de cette appréciation celle que Laf&tte a mise dans 
la bouche de Fleury : « Le public de Lyon ne m'accueillit ni trop mal, 
ni trop bien, en public qui attendait. Terrible parterre que celui de la se- 
conde ville du royaume 1 » (V. plus haut, chap. IIL) 

(2) Les Idées sur Corneille, Molière, Racine^ CrèbilUm^ Rtgnard et 
Piron font partie du recueil publié sous le titre de Peu de chose. Elles 
sont pleines d'aperçus nouveaux pour le temps où elles parurent, la 
critique n'ayant pas encore reçu le développement qu'elle a pris de nos 
jours. On ne les a jamais rééditées. 



94 LE THÉÂTRE A LYON 

plusieurs sujets remplis de zélé et â^ intelligence^ et auxquels il ne 
manque que de bons conseils et plus d'encouragements pour déve- 
lopper des talents trés-réels et faits pour honorer l'art drama- 
tique. 

« Le directeur, M. Collot-d'HerboiSy est voire ami; ce 
mot renferme son éloge et me dispense de vous répéter 
combien il est fait pour être celui de tous les gens de lettres, par 
les qualités de son cœur et de son esprit. » 

Voilà qui est charmant : pas une ombre au tableau ! Des 
compliments à tout le monde. Il faut croire qu'ils étaient 
mérités... Mais, d'où pouvait venir chez le critique cette 
disposition à la bienveillance universelle? Il était sans doute 
à ce moment psychologique où le bonheur intime déborde 
et s'épanche au-dehors. 

Lié avec le directeur et la plupart des artistes, Grimod 
adressait une Epiire à Madame d'Ocqucrre (i) et des Stances 
irrégulières à Madame Dugazon, qu'un « heureux hasard 
avait placée dans un appartement voisin de celui qu'il oc- 
cupait à VHôtel de Milan^ et qu'il avait entendu se plaindre 
de la multitude des hommages » qu'elle recevait (2). C'est 

-■ ■ ■ - - | , ■_ _ _ m iBMi 

(i) Epître à Madame d'Ocquerre, première actrice du théâtre de Lyon> 
par Grimod de La Reynière, 1788, feuille volante sans indication de 
lieu et d'impression (mentionnée par M. G. Desnoiresterres, op. cit.) 

(2) Voici les Stances à la Dugazon : 

Charmante Dugazon, vous n*aimez point les vers. 
Un éloge flatteur n*a plus rien qui vous touche ; 
Et ce terrible arrêt, sorti de votre bouche. 
Va la fermer à mille amans divers. 

f approuve ce dégoût et surtout en province; 
L'ennui vous fait gémir sous le poids des lauriers. 
Et pour vous tous les jours V embarras n* est pas mince 
De répondre à la voix de tant de chevaliers. 

Hardis profanateurs du vrai culte des belles, 
De leur stérile encens vous craignez la vapeur; 



LE THÉÂTRE A LYON 9$ 

à ces vers que le chevalier Aude faisait allusion lorsqu'il 
écrivait à l'auteur qu'il était : 



Us ignorent, hélas ! dans leur sublime ardeur. 

Que pour peindre Alexandre il fallait être Apelles. 

Je n* imiterai point cette témérité. 

A quoi bon vous conter que vous êtes jolie ? 

Bonne? sensible? douce*? admirable? accomplie? 

Cet éloge, en leurs vers si souvent répété^ 

Est-il plus amusant pour être mérité ? 

Non^ non, tous ces discours n*ont rien qui persuade 

Un talent trop réel pour se croire parfait ; 

Et ces adulateurs, par leur jargon maussade» 

Vous rendront fâcheuse et malade , 
Et vous feront d'ici déserter tout à fait. 

Pour moi qui n'ai jamais soupiré pour vos charmes, 
Dont /'insensible cœur ne sait rien adorer, 
A mes faibles accents livrez-vous sans alarmes ; 
Je ne puis que vous plaindre et non vous admirer. 

Je vous plains donc d'être aimable et jolie; 
De savoir plaire et de savoir charmer ; 
Et si d^ aimer vous faisiez la folie^ 
Je vous plaindrais de savoir trop aimer. 

Babet, Nina n*ont rien qui m'intéresse (a) ; 
Un délire aussi doux ne va point jusqu'à moi; 

Sourd à leur voix enclnnteresse, 
J'aime mieux rire alors que je vous voi. 

Ah ! de votre gaîté folâtre 
Conservez bien les charmes séduisans . 
Je n'aime point au Lyrique-Théâtre 
A m* entourer de lugubres accents. 

Que la plaintive Melpomène 

Etale autour de moi ses tragiques douleurs : 

. Des Ris et des Amours Dugazon est la reine, 

Et, pour enlever tous les coeurs. 
Elle fCa pas besoin de quitter son domaine, 

(a) L'auteur n'aimait pas les larmes dans l'opéra comique'i qu'il con* 
sidérait comme « le dernier asyle de l'enjouementt » . 



96 LE THÉÂTRE A LYON 

Craint des mauvais acteurs, connu des bons poètes ; 
Gté dans les foyers par le plus joli ton ; 

Par des mémoires aux buvettes. 

Par de bons vers chez Dugaion^ 

Par des mots heureux chez Ninon, 

En Suisse par des amourettes. 

Dans Athènes par la raison, 

Et dans Lyon par des emplettes... 

Pourtant, ce n'était ni M"* d'Ocquerre, ni M"* Dugazon 
qui possédait le cœur de notre original; le ton même des 
Stances adressées à cette dernière prouve qu'il n'avait 
« jamais soupiré pour ses charmes. » Les initiés du monde 
qu'il fréquentait ne prenaient point le change et chuchotaient 
le nom de la sémillante M"* Feuchère. Un homme d'es- 
prit, demeuré inconnu^ composa même, à cette occasion, 
une satire intitulée : Avis d'un Bonhomme à M. Grimod (i), 
dans laquelle il plaisante assez méchamment le critique sur 
son optimisme et sur sa passion. « Grimod^ disait-il, 

Grimod, tes vers valent moins que ta prose, 
Et cependant ta prose ne vaut rien. 
Pour titre à tes écrits mets toujours : Peu de chose. 
Ce titre heureux les désigne trop bien. 
Des Lyonnais tu vantes le génie. 
Partout tu trouves de V esprit 
Et jusque dans V Académie^ 
Où Delandine écrit, récrit (2) 
Ce qu'avant lui d'autres ont dit. 
Où de Bory (3) comme toi versiûe. 



(i) Gtée par M. G. Desnoîresterres, qui mentionne encore une 
pièce intimlée : — Consolation à Mademoiselle Feuchère^ pour la consoler 
de ce que, depuis qu'elle est à Lyon, elle n'a pas encore réuni sur son 
talent, comme elle l'a fait sur sa personne, l'universalité des suffrages. 
Demi-page in-80. 

{2) Bibliothécaire de la ville de Lyon, auteur de VEnfer des peuples 
anciens, 

(3) De Bory, commandant de Pierre-Scize. 



LE THÉÂTRE A LYON 97 

Où Potot fut, dit-on, introduit 

Par une escroquerie, 
Où tu le seras si tu veux, 
Vu que pour t'asseoir avec eux 
Tu fais si bien tes preuves d*ânerie : 
Je parle ici de ce goût épuré 
QjLii de la glaçante Fetichère 
Nous prône par extrait le talent ignoré. 
Passe encor de louer les vertus d'Ocquerre, 
A ses talens de bon cœur j'applaudis. 
Sa taille svelte et sa marche légère, 
A mon esprit rappellent Eucharis ; 
De sa figure, et si mâle et si fière, 
L'amante de Dunois n'eut pas les traits hardis. 

Console-toi, mon pauvre La Reynière, " 
La cruelle bientôt couronnera tes feux. 
Bientôt de l'AfFecteur le secret merveilleux 
La reproduira vierge aux héros de Cythère. 

Mais l'inflammable Grimod était trop épris pour se lais- 
ser désarçonner par des rimes ; il ne quittait plus le théâtre. 
On jouait les Deux amis ou le Négociant de Lyon, drame en 
3 actes et en prose, de Beaumarchais. Larrivée donnait des 
concerts. Pendant le séjour des ambassadeurs de Tipoo- 
Saïb, M. Tolozan de Montfort les conduisit au spectacle, 
malgré la chaleur caniculaire : on donnait la Mélomanie. Le 
lendemain, après le départ d'un ballon lancé en leur hon- 
neur par l'aéronaute Fontaine, ces personnages entendirent 
M"** Dugazon dans Rose et Collas et à^nsAnnette et LubinÇi). 
Sourd et aveugle pour tout ce qui n'était pas sa maîtresse, 
La Reynière prônait son jeu, son esprit et sa beauté dans 
les journaux où il avait accès. Bref, et pour en finir avec 
cette idylle de coulisses, il lui fit une demande en bonne 
forme, que la coquette ne repoussa point, malgré les dif- 
formités de son amoureux. La famille de La Reynière vou- 

(i) Répertoire lyonnais. — Journal de Lyon, jj88. 



98 LE THÉÂTRE A LYON 

lut s'opposer à cette union ; les pourparlers traînèrent deux 
ans; puis, le mariage eut lieu le 4 septembre 1790. 
M"* Feuchère, devenue M"^ Grimod, quitta complètement 
le théâtre, et les de La Reynière acceptèrent le fait ac- 
compli. 

Le passage à Lyon de l'Anglais Arthur Young et celui 
du musicien Grélry, dont on inaugura le buste en sa pré- 
sence sur le théâtre, sont les seuls faits de la grande année 
1789 qu'on ait ;\ signaler ici (i). CoUot-d'Herbois continua 
ses fonctions de directeur jusqu'à la fin de la campagne 
théâtrale, non sans* difficultés, si l'on en juge par la lettre 
suivante qu'il écrivait à M. Tdozan de Montfort, le 23 fé- 
vrier : 

Monsieur, 

Depuis un mois, j'ai fait tout ce que j'ai pu pour me passer de 
Mme Girardin, qui a joué pendant ce mois-là très-rarement. Cepen- 
dant Mme Darboville étant souffrante d'un violent mal de gorge, j'ai 
fait requérir hier Mme Girardin de jouer aujourd'huy. Elle a refusé, sous 
prétexte qu'en jouant elle nuirait au procès qu^elle a intenté àla Direction^ 
relativement au rôle d'Antigone. M™» Darboville aurait, à ma sollicita- 
tion, joué cependant aujourd'huy la Rosière ; mais son mal a empiré et 
il lui est impossible. La pièce est affichée ; l'engagement de M™* Girar- 
din, par lequel elle doit jouer, lorsqu'elle en sera requise, subsiste tant 
qu'il n'est pas résilié ; il m'est impossible de ! substituer aucun autre 
opéra à la Rosière, M. Chevalier-Seguenot étant malade depuis quatre 
jours, et la comédie ne m'offre aucunes ressources, ayant eu beaucoup 
de peine à trouver celle qu'on doit jouer avant la Rosière, vu l'absence 
de Mlle Bernard. 

Veuillez, Monsieur, prendre en considération cette position pressante et 
critique, et recevoir le tribut du profond respect avec lequel j'ai l'hon- 
neur d'être, etc. 

D'Herbois (2). 



(i) Tablettes cJjronologiques. 
(2) Archives mss. de la ville. 



LE THÉÂTRE A LYON 99 

Déjà Topinion publique, attentive au grand drame qui al- 
lait se jouer sur la scène politique, se détournait des spec- 
tacles frivoles. Le sieur Leconte venait de faire cession du 
privilège des spectacles à un sieur Pages, par acte du 22 fé- 
\Tier 1789. CoUot-d'Herbois saisit cette occasion pour se 
retirer et pour quitter la France. Il alla diriger la troupe de 
Genève, où il jouit de la même considération que dans no- 
tre ville ; ce fut là peut-être qu'il puisa ses principes répu- 
blicains qui s'exaltèrent si rapidement (i). 

On sait le reste. Rentré dans sa patrie, il fut l'un des 
principaux instigateurs de la journée du 10 août, et, nom- 
mé membre de la Convention, il y fit décréter l'abolition de 
la royauté le 21 septembre 1792. « Une grande force de pou- 
mons^ — dit M™^ Roland, dont le mari était l'ennemi per- 
sonnel de Collot, — \t jeu d'un farceur y V intrigue d'un fri- 
pon y les écarts d'une mauvaise tête et V effronterie de Vigno- 
rancCy tels furent ses moyens de succès dans les clubs, par- 
ticulièrement aux Jacobins, qui osèrent bien parler de lui lors 
de la formation du ministère patriote ^ sous le règne de 
LouisXVIii). » 

On peut opposer à ce tableau hostile le très-curieux por- 
trait qu'un ami politique de l'ancien acteur, Fréron, a écrit 
dans son journal V Orateur du Peuple : 

CoUot-d'Herbois avait apporté à l'Assemblée (de la Convention) un 
esprit orné par la littérature, Lart de la déclamation, cette partie si impor- 
tante de l'éloquence, n'avait point été tout à fait étranger à ses précé- 
dentes études. Une physiofwmie un peu sauvage, une encolure forte et vigou- 
reuse, un organe imposant quoique un peu voilé, une diction théâtrale, des 
pensées tantôt énergiques, tantôt ingénieuses, une facilité d'improviser 



(i) Archiv. mss. de la ville. — Biogr. univers. 

(2) Mémoires de Madame Roland, édition Hachette, page 224. -— 
CoUot-d'Herbois s'était cru frustré lorsque Roland avait été appelé au 
ministère de l'intérieur. 



' 1 



100 LE THÉÂTRE A LYON 

parfois très-oratoire, h talent d'intéresser U cceur et d^ échauffer le sentiment , 
d'attribuer avec art à des causes morales des résultats purement physi- 
ques^ de verser dans les âmes une sorte donctUm douce et pénétrante, lui 
avaient souvent attiré les applaudissements à la Convention et surtout 
aux Jacobins. — Au rtsiQyplus brusque et plus impétueux dans les affaires 
qu'adroit et insinuant, faire sauter les prisons par V explosion de la poudre, 
exposer par centaines des coupables au feu du canon^ étaient des idées qui 
ne révoltaient point son cour, naturellement généreux et tendre, mais vif et pé- 
nétré du besoin d'anéantir les ennemis de la liberté (i). » 



Membre du Comité de salut public à la chute des Giron- 
dins, CoUot-d'Herbois fut envoyé avec Fouché, le lo no- 
vembre 93, après la prise de Lyon, pour punir cette ville 
de son insurrection. 

Eh bien ! les actes de férocité inouïe commis par ces pro- 
consuls, une grande ville saccagée, plus de 1600 personnes 
massacrées par la mitraille, l'histoire peut-elle sérieuse- 
ment les attribuer à la vengeance d'un acteur sifflé ? La ré- 
ponse à cette assertion, aussi absurde qu'inexacte, se trouve 
dans les Mémoires de l'abbé Guillon de Montléon (2), qui 
n'est point suspect de partialité : 

« Les personnes, — dit cet écrivain, — qui, dans l'igno- 
rance du conflit des factions, n'ont pour expliquer des actes 
inouïs de fureur que les conjectures qu'elles peuvent tirer des 
petites passions particulières y croient très-simplement que la 
rage de CoUot-d'Herbois contre Lyon venait de ce qu'il 



(i) Pages 7;et 8 du Fragment pour servir à Vhistoire de la Convention 
nationale depuis le 10 thermidor jusqu'à la dénonciation de Lecointre inclusi- 
vement, — Paris, le 29 fructidor an n de la République française, 
15 septembre 1794. 

(2) L'abbé Aimé Guillon de Montléon (1758-1842), né à Lyon, théo- 
logien et controversiste, dut son heure de célébrité à une brochure in- 
titulée le Grand crime de Pépin-le-Bref (1800). Il y révélait, sous le voile 
d'un pseudonyme^ le projet conçu par Bonaparte de se faire nommer 
empereur et sacrer par Pie VIL 









* o 






LE THÉÂTRE A LYON 



lOI 



avait été sifflé sur le théâtre de cette ville, deux ou trois ans 
avant la Révolution... QnoiquQ f habitasse Lyon au temps où 
Von prétend que Collotyfut sifflé^ et quoique les événements 
de ce genre fussent racontés dans toutes les sociétés, et 
parvinssent toujours à la connaissance même des personnes 
qui n'allaient point au théâtre, je n'ai jamais ouï dire que 
Collot eât reçu une pareille mortification dans notre ville, où son 
espèce de talent plaisait beaucoup. Eût-il été sifflé une fois par 
hasard, il aurait facilement oublié ce déboire momentané 
parmi les faveurs dont l'honora plus d'une fois l'intendant an roi 
à Lyon, ce même de Flesselles qui, devenu peu de temps 
après prévôt des marchands de Paris, fut la première vic- 
time de la Révolution, le 14 juillet 1789, immédiatement 
avant la prise de la Bastille. » 

« M. de Flesselles, de qui personne à Lyon n'eut à se 
plaindre, qui obligea tous ceux qui recoururent à lui, mais 
qui réunissait à beaucoup d'amabilité dans l'esprit et dans 
les manières une très-grande mollesse de mœurs et une 
extrême faiblesse pour les flatteurs, quels qu'ils fussent, 
s'était laissé séduire par des vers que Collot lui avait adressés en 
1787 (i). L'histrion avait même captivé la facile condes- 
cendance de l'intendant pour les adulateurs, au point que 
celui-ci l'admit à quelques-unes de ses fêtes, où il vint chanter 
des couplets à sa louçtnge et à celle des conviés, l'élite des citoyens y 
qui lui en témoignaient leur satisfaction par d'éclatants suf- 
frages (2). » 

Singulière dérision des choses humaines ! C'est l'acteur 
adulé des Lyonnais, c'est CoUot-d'Herbois qui est choisi en- 



Ci) L'abbé Guillon fait une erreur de date : on a vu plus haut que 
Jacques de Flesselles avait quitté Lyon au mois d'août 1784. 

(2) Mémoires pour servir à Vhistoire de Lyon pendant la Révolution , par 
Tabbé Guillon de Montléon, 1. 11, p. 532 et suiv. — Paris, 1834. 



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LE THEATRE A LYON 



tre tous les régicides pour aller décimer ceux-là même qui 
avaient eu le tort de l'élever jusqu'à eux et qui lui prodi- 
guaient naguère leurs applaudissements... 

Quant à l'origine de l'erreur que le bon abbé vient de 
réfiiter, je crois que la voici : on se souvient des éloges ex- 
cessifs que La Reynière adressait à Collot-d'Herbois dans sa 
Lettre à Mercier ^ sous l'empire d'une passion qui lui faisait 
voir tout couleur de rose. Neuf ans plus tard, les illusions 
s'étaient évanouies, et Grimod, mûri par plus d'une épreu- 
ve, gardait une profonde rancune à la Révolution, qu'il 
avait combattue dès le principe. Ayant à parler^ dans un 
feuilleton dramatique, des théâtres de province, et spécia- 
lement de ceux de Lyon, l'impressionnable critique éprouva 
le besoin- de stigmatiser l'odieuse conduite de son ancien 
ami : 

« On pense bien, — dit-il, — que les arts, amis de la paix, de la 
justice et de la tranquillité, que l'art dramatique surtout y a souffert 
dans la même proportion. D'abord, les deux théâtres des Terreaux et 
des Célestins ont offert à la vengeance du feu citoyen Collot-d'Herbois 
de nombreuses victimes. Cet homme féroce, ancien régisseur et acteur du 
premier de ces théâtres, s* est vengé sur Us Lyonnais des nombreuses huées 
quHl en avait reçUy et sur la plupart de ses camarades, du Juste mépris 
qu'ils avaient pour son insolence et pour ses vices (i). » , 

La contradiction était flagrante. Mais Collot-d'Herbois 
était mort à la Guyane en 1796 ; la boutade fit son chemin, 
personne ne la releva avant l'abbé Guillon, qui fut peu lu, 
et l'erreur fut acceptée, sans examen, comme tant d'autres 
mensonges historiques. 



(i) Le Censeur dramatique, X, i, p. 338-339, 30 vendémiaire an vi 
(1797). Ce recueil, publié de 1797 à 1798, a été réuni en 4 vol. in-40, de 
600 pages chacun, par le libraire Desenne. — Grimod a fait paraître 
plus tard V Alambic littéraire^ 2 volumes, et VAlmanach des gourmands 
(T803-1811.) 



LE THEATRE A LYON XO3 

On a vu défiler jusqu'ici sur le Théâtre de Lyon tous les 
noms qui ont illustré Tart dramatique fi-ançais au xviii* siè- 
cle, depuis Clairon et Le Kain, Noverre et Camargo, Caillot 
et Brizard, Bellecour, François Auge, jusqu'à la Saint- 
Huberti, Vestris et Dugazon. 

Le lecteur a remarqué combien d'artistes appartiennent à 
notre ville, par leur naissance, comme Marie Antier, 
Françoise Journet, Dorothée Luzy, Henri Larrivée, De- 
zaides etLeclair, l'organiste Marchand; ou parles séjours 
prolongés qu'ils y ont fait , tels que Préville , Fleury , 
Grandval, Larive, les deux Sainval, Hus et Joubert, Fabre 
d'Eglantine, Collot-d'Herbois et M"^ Feuchère... 

Il était impossible de les citer tous. 

Pourtant, afin de réparer quelques oublis, il faut au 
moins nommer à cette place les compositeurs Lamanière (i) 
et Antoine Dauvergne (2); Audibert, maître de musique 
de TAcadémie de Lyon (3); Pe)n'aud de Beaussol, qui dut à 
sa tragédie des Arsaciàes son heure de célébrité (4) ; Chas- 
poul, qui composa, en 1768, avec Sedaine, l'opéra comi- 
que des Sabots (s); Martelli, comédien et auteur dramati- 
que, qui fut attaché pendant plusieurs années au théâtre de 
Lyon (6), et M"* Chevalier, élève de ce théâtre, qui est 



(i) De r Académie de Lyon. Il est mort le 28 juin 1808. — V. Bio- 
graphie lyonnaise^ par Breghot du Lut et Péricaud. 

(2) Né à Clermont-Ferrand le 4 octobre 1713, mort à Lyon le 12 fé- 
vrier 1797. — Biogr, univers, 

(3) Audibert est l'auteur d*un Mémoire inédit sur la découverte d'un 
chifïre musical, qui a été conservé à la Bibliothèque nationale. 

(4) Né à Lyon vers 1735, mort vers 1799. — Biogr, Rabbe, supp. 
(s) Frère d'un notaire de Lyon. — Delandine, Bibliographie drama- 
tique» 

(6) Honoré-Antoine Richaud-Martelli, né à Aix vers 173 1, mort à 
Marseille le 18 juillet 1817. — V. Biogr, îyon. — Son principal ouvrage 
est Les deux Figaros ou le Sujet de comédie. 



I04 LE THÉÂTRE A LYON 

restée fameuse par ses intrigues à la cour de Paul P' (i). 
Les comédiens formaient^ sous l'ancien régime, une 
classe à part et occupaient dans la société une situation 
tout exceptionnelle. Avaient-ils du talent, de Tesprit, de la 
beauté, de la vogue surtout : on les portait aux nues, toutes 
les portes s'ouvraient pour eux, tandis qu'elles restaient 
closes pour les gens du tiers. Dans cette aristocratie, si fière 
de ses quartiers de noblesse et souvent si hautaine envers la 
bourgeoisie, peu importait à la femme la naissance et le 
rang d'un homme ; que ce fut un acteur, qu'il eût encore 
aux joues le rouge du théâtre : s'il était couru, les plus 
grandes dames en faisaient leur héros. L'impertinent Mole 
donnait-il une représentation à son bénéfice ? les femmes 
faisaient souscrire tout le monde, même l'archevêque de 
Lyon, Mgr de Montazet, et l'acteur employait le produit 
de la souscription, 24,000 livres, à acheter à sa maîtresse 
une parure de diamants. La chose fut mise en chanson : 

a Mole, plus brillant que jamais, 
Donne des soupers à grands frais. 
Prend des carrosses de remise, 
Entretient filles et valets ; 
Lu femmes vuident les goussets 
Même des Princes de V Eglise, 

Pour servir 

Son plaisir, 

La sottise ! 
Elles se mettraient en chemise (2). » 

Le spirituel Diderot,qui aimait « l'utile et belle profession 
de comédiens ou àt prédicateurs laïques, y* suivant ses propres 
expressions, « la verve dont l'homme de génie se sert pour 



(i) Bîogr, Rabbe, suppl. 

(2) Mèm, secr, de Ba(^aumont, i^ janv., 6 fév. et 2 mars 1767. 



LE THEATRE A LYON 10$ 

châtier les méchants et les fous, » Diderot, qui dans sa jeu- 
nesse avait « balancé entre la Sorbonne et la Comédie,» ne 
fait aucune difficulté de reconnaître que, de son temps, les 
gens de théâtre étaient « fastueux, dissipés,dissipateurs, in- 
téressés, vagabonds, à Tordre des grands; qu'ils avaient peu 
de mœurs, point d'amis, presque aucune de ces liaisons sain- 
tes et douces qui nous associent aux peines et aux plaisirs 
d'un autre qui partage les nôtres. » Il est vrai que l'on 
comptait de fort honorables exceptions : après Molière, les 
Quinault, Montmesnil, l'auteur du Paradoxe sur le comédien 
cite ses contemporains Brizard et Caillot, qui étaient « éga- 
lement bien venus chez les grands et chez les petits; à qui 
vous auriez confié sans crainte votre secret et votre bourse, 
et avec lesquels vous auriez cru l'honneur de votre femme 
et l'innocence de votre fille beaucoup plus en sûreté qu'a- 
vec tel grand seigneur... » 

Mais, « un comédien galant homme et une actrice hon- 
nête femme étaient des phénomènes rares, y> En effet, « qu'est- 
ce qui leur chaussait le socque ou le cothurne ? Le défaut 
d'éducation, la misère et le libertinage. Le théâtre est une 
ressource, jamais un choix... » 

« Un jeune dissolu, au lieu de se rendre avec assiduité 
dans l'atelier du peintre, du sculpteur, de l'artiste qui Ta 
adopté, a perdu les années les plus précieuses de sa vie et il 
reste à vingt ans sans ressources et sans talents. Que vou- 
lez-vous qu'il devienne ? Soldat ou comédien. Le voilà donc 
enrôlé dans une troupe de campagne. Il rôde jusqu'à ce 
qu'il puisse se promettre un début dans la capitale. Une 
malheureuse créature a croupi dans la fange et la débauche; 
lasse de l'état le plus abject^ celui de basse courtisane, elle 
apprend par cœur quelques rôles, elle se rend un matin 
chez la Clairon, comme l'esclave ancien chez l'édile ou le 
préteur. Celle-ci la prend par la main, lui fait faire une 



I06 LE THÉÂTRE A LYON 

pirouette, la touche de sa baguette et lui dit : « Va faire 
rire ou pleurer Us badauds. » 

« Ils sont excommuniés. Ce public, qui ne peut s'en 
passer, les méprise. Ce sont des esclaves sans cesse sous la 
verge d'un autre esclave. Croyez-vous que les marques 
d'un avilissement aussi continu puissent rester sans effet, 
et que, sous le fardeau de Tignominie, une âme soit assez 
ferme pour se tenir à la hauteur de Corneille (i) ? » 

On voit que le critique se montrait sévère à l'égard des 
comédiens de son temps et qu'il ne craignait pas de noir- 
cir le tableau, pour mieux accentuer ce qu'il voulait faire 
entendre. 

Les gens de théâtre étaient placés sous la tutelle de l'ad- 
ministration et dépendaient, à Paris, des gentilshommes de 
la cour, à Lyon, du gouverneur. Cette protection allait 
jusqu'aux abus les plus criants : jusqu'en 1774, il suffisait, 
à toute fille ou femme, de l'inscription à l'Opéra ou à la 
Comédie-Française, pour se dérober au pouvoir paternel 
ou conjugal. « La dernière des filles de chœur, de chant 
ou de danse, la dernière des figurantes était émancipée de 
droit : un père, une mère, indignés de son inconduite, ne 
pouvaient plus exercer sur elle l'autorité; il lui était permis 
de braver un mari, si elle était mariée. » Aussi, de la part 
de toutes ces femmes, quelle aspiration vers ces planches 
qui donnaient l'affranchissement ! Monter là, c'était l'effort 
et l'ambition de chacune. Toutes les protections étaient 
mises en jeu pour arriver jusqu'au cabinet d'un directeur 
de théâtre. « Et n'est-ce pas là, sous les pilastres aux feuilles 
d'acanthe, au-dessous des nymphes nues dormant dans les 
grands cadres, dans le boudoir majestueux où le maître 



(i) Diderot, Paradoxe sur le comédiefi. 



• LE THÉÂTRE A LYON IO7 

tout-puissant trône en robe de chambre auprès du bureau 
chargé de faisceaux de licteurs, de casques à panaches, de 
brocarts, de partitions ouvertes de Castor et PolluXy n'est-ce 
pas là que Baudouin, le peintre et ITiistorien de la demi- 
vertu, a placé le Chemin de la Fortune? Généralement, le 
directeur est un homme ; sur une mine de jeunesse, sur un 
joli sourire, sur un peu de gentillesse et beaucoup de bonne 
volonté qu'on lui montre, il consent à recevoir et à agréer. 
Une fois le maître séduit, la femme est inscrite, et quelque 
peu douée qu'elle soit, quelque habile homme la mettra, 
au bout de trois mois, en état de paraître sur ses jambes 
dans un ballet (i). » 

Le directeur devait inforaier le prévôt des marchands de 
tout ce qui se passait au théâtre ; les correspondances citées 
plus haut donnent une idée assez exacte du genre de con- 
trôle auquel les entreprises de spectacle étaient soumises. 
Le gouverneur, par l'entremise du prévôt des marchands, 
veillait au maintien de l'ordre et au choix des artistes, don- 
nait les ordres de débuts et jugeait les différends qui sur- 
gissaient entre le directeur et les acteurs. On s'étonne au- 
jourd'hui de voir ces personnages s'occuper gravement du 
plus petit événement des coulisses. Mais, ce qui est plus 
curieux encore, c'est de feuilleter les plaintes qui leur 
étaient adressées soit par le directeur, récriminant sur la 
mauvaise volonté de sa troupe ou sur les maladies qui y 
sévissaient, soit par les acteurs, gémissant de l'oppression 
que ce tyranneau leur faisait subir : c'était Dufresney, gui 
se plaignait que Rosambert le rendait malade en le faisant 
chanter tous les jours, cela « pour faire sa cour » à M. To- 



(i) La femme au XFIII^ siècUy par Edmond et Jules de Concourt, 
p. 292. 



X08 LE THÉÂTRE A LYON * 

lozan de Montfort (i) ; c'était M"* Génie Perron, qui avait 
dansé pendant deux ans « avec un succès des plus reconnus » 
et qui, « singulièrement mortifiée » de ne recevoir aucune 
gratification^ touchait le « cœur si bon » de M. le comman- 
dant par des phrases comme celle-ci : « La balance que vous 
avez pour emblème de votre justice ne sert pas certainement à 
pe^er les corps (c'est une danseuse qui parle), mais le mérite, 
les qualités et les talents (2). » C'était encore un brave 
musicien, qui protestait, avec une comique indignation, 
contre les beaux fils de famille qui faisaient tapage à 
« lorquestre » et jouaient mille tours aux pauvres instru- 
mentistes (3), etc., etc. Le commandant trouvait le 
temps de lire et d'apostiller lui-même toutes ces fastidieuses 
suppliques, qui étaient souvent prises en considération. 

Si l'Administration se montrait tutélaire pour les gens de 
théâtre, elle leur faisait parfois sentir toute sa rigueur. En 



(i) Lettre du 5 janv. 1787, arch. mss., passim. 

(2) Lettre de mai 1786, eod. loc. 

(3) Archiv. mss. — Lettre à M. Tolozan de Montfort : 

« De Lyon, ce 3™^ janvier 1786. 
« Monsieur, 

« C'est un grand abus que de voir Lorquestre des musidens rempli 
des jeunes gents qui font tous les jours un tapage orrible ; et faisant rire 
les actrice qui sont en scène ; et empêchant d'entendre tous les gents 
qui sont derrière Lorquestre; vous sente, que cela n*est pas amusant 
pour ceux qui veulent jouir du spectacle ; d'ailleurs, il est ridicule de 
voir tous ces jeunes gentz àlorsquestre Lorqu'il y a de la place ailleurs ; 
ensuite la moitié du tems ces jeunes gents se disputent avec les musicieny 
leur prenant leur chaise quHl ne veulent pas leur rendre ; cela occasionne 
des bruits et cela dérange les spectacle. Nous vous supplions de vouloir 
bien donné vos ordres pour qu'il neutre personne alorquestre que les 
musiciens. » 

« En attendant, Monsieur, nous sommes avec la plus parfaite estime 
et considération, 

« Lh... » 



' LE THÉÂTRE A LYON IO9 

1765, la moitié des pensionnaires de la Comédie-Française 
fut enfermée au For-l'Evèque pour avoir refusé obstinément 
de jouer (i). L'acteur qui résistait à un ordre de début 
subissait le même sort; celui qui rompait un engagement 
ou excitait les autres à le faire, allait coucher en prison et 
n'était remis en liberté « qu'à la condition de vider la ville 
dans les vingt-quatre heures (2). » Le moindre trouble au 
théâtre, la moindre cabale pouvait attirer au coupable une 
lettre de cachet ; enfin, on connaît la mesure d'expulsion 
dont, en 178 1, le directeur Husfut l'objet (3). 

Depuis la chute de l'ancienne monarchie, ces hauts et 
ces bas, ces violents contrastes entre l'adulation et le mé- 
pris, entre la protection et la rigueur, ont disparu de nos 
lois. La tutelle administrative n'intervient plus : les plain- 
tes et les différends des comédiens sont portés devant les 
tribunaux. Toutefois, le talent ou la vogue feront toujours 
aux artistes dramatiques une situation hors cadre, qui leur 
ouvrira les salons célèbres de la Restauration, tandis que 
l'indifférence et la médiocrité les feront descendre au der- 
nier degré de l'échelle sociale. 



Cette étude devrait s'arrêter là. Le xviii* siècle^ si insa- 
tiable de plaisirs et de nouveautés, est bien mort quand la 
Révolution commence. Sans doute, les spectacles ne fer- 



(i) Mém, secr. de Bachaumont, avril 1765. 

(2) Archiv. mss. Lettre à M. de La Verpillière, 27 avril 1764, con- 
cernant Tacteur Brisson. 

(3) V. plus haut, ch. IV, page 57. 



no LE THÉÂTRE A LYON 

meront point leurs portes (i) ; mais, on Ta dit plus haut, 
l'attention publique est tout entière au-dehors, sollicitée 
par les terribles événements dont Lyon va devenir le 
théâtre. 

Il est à remarquer que presque toutes les pièces qui se- 
ront jouées dans cette ville pendant la période révolution- 
naire retraceront les scènes de la gigantesque épopée. 



(i) Le catalogue de la bibliothèque Coste mentionne une série de 
documents qui se réfèrent aux théâtres de Lyon pendant la Révolu- 
tiqn : 

— Règlement relatif aux spectacles de Lyon, du 21 janvier 1790. 

— Adresse du sieur Pages, directeur des spectacles de Lyon, aux ci- 
toyens de cette ville, en réponse à celle des sieurs Lainez, Lays, Rous- 
seau, Chéron, Gardel, de la Suze, de Saint-Prix, Hus-Malo et Daubrière, 
d-devant propriétaires avec le sieur Pages. 1790. 

— Ordonnance de MM. les maires et officiers municipaux deja 
ville de Lyon concernant les spectacles. 13 avril 1790. 

— Id. — 10 mars 1791. 

— Lettre des comédiens du Théâtre de Lyon à M, Vitet, maire, en 
date du 11 octobre 1791, et réponse de celui-ci au sujet de îa présence 
des soldats dans les pièces de théâtre. Lettre de M. Hallot, commandant 
delà 19e division militaire. — Même date. 

— Pétition à TAssemblée nationale, présentée par les comédiens de 
Lyon, Marseille, Rouen. — S. d. 

— Dénonciation de la corporation des auteurs dramatiques (par 
Plachat, intéressé à l'entreprise des théâtres de Lyon). -7 S. d. 

— Mémoire pour les comédiens du spectacle de Lyon contre les au 
teurs dramatiques. 

— Pétition à la Convention, pour le même objet, signé Plachat et 
Mortainville (sept. 1792). 

— Carte d'abonnement aux spectacles de Lyon, du 7 mai 1793, 
sign. aut. de MM. Martin et Bouvard. 

— Arrêté des représentants sur l'ouverture du théâtre. 14 fructidor 
an II. 

— Lettre de l'adjudant-général Dauvergne, commandant la force 
armée dans le département du Rhône, aux citoyens artistes du Grand- 
Théâtre dé Lyon, au sujet de la réouverture du théâtre. Lyon, le 27 
thermidor an vu. 



LE THÉÂTRE A LYON III 

Ce seront, en 1790, les Etrennes de la Liberté, fête patrio- 
tique,composées par l'acteur Planterre qui, la même année, 
prendra la direction du Courrier de Lyon, avec le docteur 
Jacques Pitt (i) ; en 1793, les Fugitifs de Lyon, esquisse 
dramatique en deux actes et en prose, par Marignié; 
V Apothéose de Chalier, impromptu patriotique, par le citoyen 
Capinaud (2); le Triomphe de la Raison, publique, pièce pa- 
triotique et républicaine dédiée aux sans-culottes, comédie 
en trois actes et en vers libres, par le citoyen Guigoud- 
Pigale (3). Le 18 novembre 1793, le Théâtre L3rrique des 
Arts, à Paris, donnera la i" représentation de V Echappé de 
Lyon (4). On trouve encore, de Tan m à Tan v, Collot dans 
Lyon, tragédie en vers et en cinq actes (qui ne fut pas re- 
présentée), par Fonvielle, de Toulouse ; la Mort de Robes- 
pierre, d^un auteur inconnu ; la Famille lyonnaise, drame en 
trois actes et en vers, et le Siège ou V Héroïne républicaine, 
mélodrame en un acte et en prose, par David Mermet (5). 

Par un étrange contraste, le Grand-Théâtre donnera, en 
plein thermidor, un ballet-pantomime en trois actes, dans 
le goût de ceux de Noverre, par le citoyen Coindé : les 
Amours de Vénus ou le Siège de Cythère (6). 

Les passions populaires, surexcitées par ces spectacles 
d'une saisissante actualité, rempliront plus d'une fois nos 



(i) V, Histoire des journaux de Lyon y parM. Aimé Vingtrinier, p. 17. 

(2) Professeur de grammaire à Lyon, mort vers 1807, auteur de 
plusieurs ouvrages, notamment du Panorama de V Univers ou Géographie 
générale mise en vers, Lyon, 1806. La préface de cet ouvrage contient 
quelques particularités sur la vie de Tauteur. V Apothéose de Chalier avait 
été composé pour le théâtre des Célestins. 

(3) Guigoud-Pigale (P.), né à Lyon le 18 mars 1746, mort le 20 
août 18:6. 

(4) Tablettes chronologiques âift 1789 à 1800. 

($) J. M. David Mermet. V. Qjiérard, France littér. 
(6) Biblioth. Coste, Répert. Lyonnais.' 



112 LE THÉÂTRE A LYON 

théâtres de leurs clameurs. En septembre 1795, les Lyon- 
nais, irrités de l'élargissement des terroristes, y feront 
retentir le chant du Réveil du peuple^ et il faudra l'interven- 
tion du commandant de place pour rétablir le calme (i). 
Les acteurs ne seront pas exempts du délire universel. Un 
ancien comédien, Antoine Dorfeuille, signalé à Dubois- 
Crancé pour son exaltation politique, sera désigné par ce 
délégué de la Convention pour présider le tribunal révolu- 
tionnaire qui sera institué à Lyon, à la prise de cette ville ; 
et le misérable, après le 9 thermidor, sera assommé et jeté 
à la Saône par le peuple furieux (2). Le 11 mai 1797, Jean 
Storkenfeld, acteur du Grand-Théâtre, l'un des chefs des 
associations connues à Lyon sous le nom de Compagnies de 
Jihu et du Soleil^ sera condamné à mort par le tribunal cri- 
minel de la Haute-Loire pour avoir assassiné le corse Istria, 
au grand Hôpital ( 3 ) . 

Pourtant, la tourmente une fois apaisée, tandis que l'an- 
cienne Comédie-Française se partagera en deux camps, 
au commencement de l'année 1796, Lyon verra reparaître, 
comme l'ombre des élégances passées, la figure aristocra- 
tique de Larive, revenant chercher les souvenirs et les ap- 
plaudissements de sa jeunesse, après la captivité que la 
Terreur lui aura fait subir. Et le public, fidèle à son ancien 
acteur, payera les billets de parterre jusqu'à mille francs... 



(i) Tablettes chronologiques. 

(2) Né en 1750, assassiné le 4 mai 179$. Biog, univers. — Un autre 
Dorfeuille (P.-P.), comédien et auteur dramatique, né vers 1745, s'as- 
socia avec Gaillard, directeur du Théâtre de Lyon, prit avec lui la ges- 
tion de TAmbigu-Comique, à Paris, et fit construire, quelques années 
après, la salle qui servit depuis aux Français. Il est l'auteur de diver- 
ses pièces et des Eléments de Vart du comédien ou VArt de la représenta- 
tion théâtrale (Paris, 1801). 

(3) TalL chronoh 



LE THEATRE A LYON II 3 

en assignats, somme relativement considérable en ce temps 
de calamité financière (i). Puis, peu à peu, l'amour de 
l'art et la soif du succès aidant, les chefs-d'œuvre des 
maîtres reprendront la place que leur avaient un instant 
disputée les tristes ouvrages éclos en un jour de malheur. 

Le théâtre de Soufflot, qui appartenait à la ville, fut 
vendu, pendant la Révolution, comme propriété privée, en 
exécution de la loi du 28 ventôse an iv. Mais, la situation 
des directeurs devenant intolérable, par suite des exigences 
des différents propriétaires, la ville finit par comprendre 
que, dans l'intérêt des spectacles, cet édifice devait rentrer 
dans le domaine communal. En 1827, le Conseil munici- 
pal le racheta et décida que, au lieu d'être réparé, le théâ- 
tre serait reconstruit sur des plans nouveaux, dont l'exécu- 
tion fut confiée à MM. Chenavard et PoUet. La première 
pierre du monument actuel fut posée le 19 août 1828 (2). 

Vers la fin du xviii*" siècle, Lyon possédait un autre 
théâtre, celui des Célestins. Un bref du pape Pie VI, en 
date du 30 septembre 1778, ayant supprimé le couvent de 
ce nom, les bâtiments en furent vendus, pour la somme 
d'un million cinq cent mille livres, à un sieur Devouges, 
qui les revendit en détail à des spéculateurs. De leur côté, 
ceux-ci ouvrirent des rues sur cet emplacement et firent 
de l'église des Célestins une salle de spectacle. Quelle est 
la date précise de cette transformation ? C'est ce qu'il est 
assez difficile d'établir. Ce qui n'est pas douteux, c'est 
qu'on donnait des représentations au Théâtre des Célestins, 
appelé alors V Ecole des Mœurs, dès les ' premières années de 
la Révolution, notamment en 1795 : ce fut, en effet, cette 



(i) V. de Manne, op. cit. — Mille francs en assignats représentaient 
une valeur de trois à quatre francs en numéraire. 
(2) Lyon anc. etmod.y Grand-Théâtre. 

8 



114 LE THÉÂTRE A LYON 

année-là que Capinaud publia Y Apothéose de Chalier, qu'il 
avait composé spécialement pour ce théâtre (i). Le drame 
et le vaudeville se partageront la nouvelle scène, qui aura 
aussi ses vicissitudes et sera deux fois la proie des flammes, 
mais qui aura, de tout temps, les prédilections des Lyon- 
nais. Plus d'un auteur dramatique et plus d'un artiste de 
talent, tels que nos compatriotes Montperlier, vaudevilliste 
et dramaturge (2), et Emile Cottenet, acteur de ce théâtre 
et auteur de Dumollet à Lyon (3) ; Carmouche, Eugène de 
Lamerlière, Virginie Déjazet, etc., viendront y essayer 
leurs premiers pas (4). 

Du reste, Lyon demeure fidèle à ses traditions artistiques 
et littéraires. Sur le déchn du siècle dernier, cette ville 
voyait naître toute une pléiade de jeunes talents. C'était, 
dans le groupe des auteurs, le baron RévéronySaint-Cyr (5), 
plus tard chef de division au ministère de la guerre, auteur 
de romans et de pièces de théâtre ; Vial (6), à qui l'on 
doit la fameuse Aline, reine de Golconde, le Mari et Vamant, 
les deux Jaloux, les deux Mousquetaires \ Jeanne Vîsmes de 



(i) V. Lyon anc. et tnod.. Théâtre des Célestins. — Journal de Pel- 
zin, du 3 nov. 1796, p. 278-280, cité dans la Biogr. lyon. de Breghot 
du Lut et Péricaud, sous le mot Capinaud. 

(2) Jean- Antoine-Marie Montperlier, né à Lyon le 30 juin 1788, 
mort le 23 mars 1819. Journal de Lyon du 30 mars 1819. Quérard, 
France liilér. 

(3) Et de plusieurs ouvrages dramatiques. Il est mort à Paris en 
1835. Quérard, France litlèr. 

(4) Kauffmann a publié un poème héroi-comique en 4 chants, la 
Célestinade ou la guerre des auteurs et des acteurs lyonnais, Lyon, 
Rossary, 1828. 

(5) Jacques-Antoine Révérony Saint-Cyr, né le 5 mai 1767, mort en 
1829, — Biog. Rabbe. 

(6) Jean-Baptiste-Charles Vial, né à Lyon le 2 juillet 1771, mort le 
27 octobre 1837. — Biog. lyon. 



LE THÉÂTRE A LYON Il5 

Valgay (t), excellente musicienne, auteur de la musique 
de PraxjUlc, opéra représenté en 1800. C'était encore le 
pharmacien Macors (2), qui fit du théâtre comme Reboul 
faisait des. vers ; c'était Riboutté (3), Tun des défenseurs de 
Lyon contre la Convention, qui jeta aux orties son carnet 
d'agent de change, pour composer Y Assemblée de famille 
(1808), qui eut 59 représentations, le Ministre Anglais 
(1812), la Réconciliation par ruse (i8i8), V Amour et V Ambi- 
tion (1822), le Spéculateur^ ou l'Ecole de la Jeunesse (1826), 
et à qui l'on décocha cette épigramme : 

Riboutté dans ce monde a plus d'une ressource, 
Il spécule au théâtre et compose à la Bourse. 

Le groifpe des acteurs n'était pas moins remarquable. 
Fille d'un ma.ître charpentier, M"^ Devienne (4), née avec 
L]n goût prononcé pour le théâtre, jolie, douée d'une phy- 
sionomie piquante et spirituelle, d'une taille svelte et élé- 
gante, s'engageait, à l'âge de vingt ans, dans la troupe des 



(i) Jeanne-Hippolyte Moyroud , femme d'Anne-Pierre- Jacques 
Vîsmes de Valgay, née vers 1767. — Biog. univers, 

(2) Paul Macors, né à Lyon, mourut le 11 mars 181 1. La France 
littéraire cite ses pièces de théâtre. 

(3) François-Louis Riboutté, agent de change à Paris et auteur dra- 
matique, est né à Lyon en 1770 et mourut à Paris en février 1834. 
Qjiiérard, Fr. ////. 

(4) Jeanne-Françoise Thevenin, dite Mii« Devienne. — Extrait des 
registres de îa paroisse de Saint' Pierre y à Lyon : « Jeanne-Françoise, fille 
d'Alexis Thevenin, maître charpentier, et de Marie-Françoise Demare, 
sa femme, née ce matin, rue Pizay, a été baptisée par moi, vicaire 
soussigné, ce 21 juin 1763. » 

Elle mourut, à Paris, le 20 novembre 1841, âgée de 78 ans. Elle 
avait épousé, le 10 mai 1809, Antoine Gévaudan, riche banquiw et 
l'un des administrateurs des messageries impériales. — V. De Manne, 
Galerie hist. desportr, des comédiens. 



Il6 LE THI*.ATRE A LYON 

comédiens de Bruxelles et débutait à la Comédie-Française 
le 7 avril 1785. « Peu d'actrices, dit le Mercure^ parurent 
avec plus d'éclat sur le premier théâtre de France et réuni- 
rent un plus grand nombre de suffrages. » Antoine Périer, 
fils d'un pâtissier de la rue de la Barre (i), d'abord 
commis chez un négociant^ fut soldat, revint à Lyon 
grièvement blessé et se fit comédien : il joua les amoureux 
aux Célestins et au Grand-Théâtre, suivit enItaUe la troupe 
de M"^ Raucourt (1806), et débuta le 2 avril 1813 à l'O- 
déon, et le 17 août 1820, à la Comédie-Française. Un autre 
sociétaire de notre grande scène nationale, Benoît Baudrier, 
qui appartenait à une bonne famille lyonnaise, resta trop 
peu de temps au théâtre pour y laisser un souvenir dura- 
ble (2).' Enfin, Louis Perrin, dit Thénard aîné, né à Lyon 
le 24 avril 1779, fut attaché deux années au Grand-Théâtre, 
où il jouait les premiers comiques^ à la plus grande joie des 
Lyonnais dont il était fort goûté, lorsque le bruit de son 
succès le fit appeler à Paris en novembre 1807 (3). 

Dans la suite, Lyon applaudira Brissebarre, dit Joanny, 
dont le jeu provoquera une vive polémique qu'on retrou- 



(i) Antoine Périer, né à Lyon le 7 mars 1784, mourut à Tours, le 
6 juin 1863, dans sa 79e année. — V. De Manne, Galerie hist. des co- 
médiens de la troupe de Talma, Lyon, Scheuring, 1866, p. 411 et suiv. 
. (2) Né à Lyon vers 1772, Benoît Baudrier jouissait à Nantes d'une 
certaine réputation, lorsqu'il fut appelé à Paris pour y débuter le. 27 
juin 181 1 ; nommé sociétaire, le 27 juin 1817, il fut emporté par une 
maladie le 13 octobre suivant, à l'âge de 45 ans. L'acteur Granville le 
remplaça. — V. De Manne, même ouvrage, p. 397 en note. 

(3) Thénard fut très-vivement regretté à Lyon par les amateurs de 
spectacle. Il débuta à Paris, le 3 novembre 1807, dans le Dissipateur y et 
mourut à Metz, où il s'était retiré, le 17 octobre 1825. — Son fils 
Etienne-Bemard-Auguste Perrin, dit Etienne Thénard, né à Lyon le 
21 janvier 1807, ^^^ acteur comme son père; il mourut à Bruxelles le 
8 mai 1838. — V. De Manne, même ouvrage, p. 297 et suiv. 



LE THÉÂTRE A LYON ' II7 

vera dans le Bulletin de Lyon de 1805 à 1807 et qui ne sera 
pas étrangère à son entrée à la Comédie-Française ; Mon- 
rose, que Paris lui enlèvera en 181 5 ; le grand Talma, 
M^^^ Mars, M"^ Rachel, que les villes de province accueille- 
ront avec tant d'enthousiasme (i); et le plus pur de l'esprit 
français revivra encore en MM. Clairville et de Nervaux (2), 
deux charmants vaudevillistes, enfants de notre cité. 
Les tournées de M"^ Mars en province nous rappellent 



(i) Brissebarre, dit Joanny, né à Dijon le 2 juillet 1775, mourut le 5 
janvier 1849. 

Monrose, né à Besançon le 6 décembre 1783, mourut le 20 avril 
1843. ïl souscrivit un engagement au Grand-Théâtre de Lyon, où la 
Comédie-Française vint le réclamer comme sien. — V. De Manne, 
même ouvrage, p. 365 et suiv., et 422 et suiv. 

(2) De Nervaux, littérateur et vaudevilliste, né à Lyon vers la fin du 
xviiie siècle, propriétaire à Genay près de Lyon. 

Louis-François Nicolaïe, dit Clairville^ auteur dramatique, né à Lyon, 
le 28 janvier 1811, de parents comédiens, passa son enfance dans les 
■coulisses de M™* Sacqui, puis au théâtre du Luxembourg, où il débuta 
à l'âge de 10 ans. Il remplit, sous Tadministration de son père qui diri- 
geait cette petite scène, tous les emplois, depuis celui de contrôleur et 
de souffleur jusqu'à celui de jeune premier ou de père noble. En 1829, 
il fit représenter sa première pièce. 18^6 dans la Lune inaugura cette 
série de revues comiques dans lesquelles il a tant de fois réussi. Parmi 
ses quatre ceiit cinquante ouvrages, pleins de verve et de gaîté bouflPonne, 
citons Margot (1837), les sept Châteaux du Diable (1844), Un troupier 
qui suit les bonnes (1860), etc. — V. Vapereau, Dict, des contemporains. 

L'art dramatique l'a perdu récemment : Clairville est mort à Paris 
le 8 février 1879, à l'âge de 68 ans, vivement regretté de ses nombreux 
amis, et en particulier des artistes lyonnais résidant à Paris. Il laisse 
des fils. 

Nommons enfin, parmi les contemporains, M. Edouard Pailleron, le 
très-spiriiuel auteur de VAge ingrat, dont la famille habite encore 
Lyon, bien qu'il n'y soit pas né lui-même; M. Joséphin Soulary, le 
poète si délicat et si fin, qui vient de révéler une nouvelle face de son 
talent dans Un grand homme qu'on attend, et M. Lassalle, le jeune et 
célèbre baryton du Grand-Opéra, originaire de notre ville, dont il 
continue avec succès les traditions musicales. 



Il8 U THéATRE A LYON 

< 

une anecdote, rapportée par l'un de ses admirateurs, que 
nous allons conter en finissant. 

M"*" Mars donnait des représentations à Lyon, lorsque, 
le lendemain même de la première, elle vit entrer chez elle 
un des fabricants de soieries les plus connus de la ville : 

— Madame, lui dit-il, vous pouvez faire ma fortune. 

— J'en serais fort aise, Monsieur; mais par quel moyen ? 

— En acceptant cette pièce d'étoffe. 

Notre homme déploya une pièce de magnifique velours 
épingle. 

— Faites de ceci une robe. Lorsqu'on l'aura vue sur 
vous, toutes les femmes en voudront porter de semblables, 
et c'est ainsi que ma fortune se fera. 

— Mais, Monsieur, jamais femme qui se respecte n'a 
porté une robe jaune !... 

— C'est précisément pour cela. Madame, qu'il s'agit de 
mettre cette couleur à la mode, et nulle au monde' ne peut 
mieux que vous... Ne me refusez pas; acceptez, en grâce. 

— Non, Monsieur, je ne vous refuse pas, répon4 la cé- 
lèbre actrice, en se disposant à payer le prix de l'étoffe. 

— Hé! Madame, que prétendez-vous faire ? s'écrie le 
négociant. Je ne sollicite de votre part qu'une faveur : 
celle de faire connaître l'adresse de ma fabrique. 

M"*^ Mars, trouvant l'idée originale, céda et promit. De 
retour à Paris, elle fit confectionner la robe, et, le soir de 
sa rentrée, dans le rôle de M"** de Clainville, de la Gageure 
imprévue^ elle attendait le moment de paraître en scène, 
revêtue de la splendide robe jaune, lorsqu'un dernier regard 
jeté sur la glace fit subitement naître un doute dans son 
esprit : elle se trouva ridicule et déclara qu'elle ne jouerait 
pas. 

L'heure était trop avancée pour qu'il fût possible de com- 
poser un autre spectacle. Cette résolution soudaine jeta le 



LE THÉÂTRE A LYON II9 

trouble parmi les comédiens^ et Talma voulut en connaî- 
tre la cause : — « Ce n'est pas d'un canari que vous avez 
l'air, — lui dit-il, quand il eût appris l'hésitation de sa 
camarade; — vous ressemblez à une topaze... Et n'êtes- 
vous pas déjà le diamant de la Comédie-Française ? » 

Vaincue par ce madrigal en prose, qui sentait son Dorât, 
M"*^ Mars, qui appréciait le goût de Talma, consentit enfin 
à jouer. Peu à peu, le reste d'inquiétude qu'elle éprouvait' 
encore se dissipa devant le murmure flatteur des loges et 
du parterre. Le lendemain, le tout Paris d'alors s'entretenait 
de. la robe jaune, et, huit jours plus tard, il n'était pas un 
salon qui n'en offrît une semblable. On ne dit pas si le fa- 
bricant lyonnais fit fortune ; il faut avouer qu'il n'avait pas 
été trop mal avisé. 

Mais, c'est déjà sortir des bornes que nous nous étions 
fixées. Qu'il nous suflSse, à cette heure, d'avoir assemblé 
quelques matériaux épars et apporté cette modeste contri- 
tributio.n à l'histoire d'un grand siècle et d'une grande ville. 
Il y a de longues années que les érudits et les publicistes 
fouillent, avec un zèle infatigable, les moindres recoins de 
nos archives nationales. Toutefois il reste beaucoup à faire 
pour l'histoire intime et morale, littéraire et artistique de 
nos villes de province. Aussi bien, n'est-ce pas trop des 
efforts de tous pour atteindre le but souhaité, et ne faut-il 
pas dédaigner les plus humbles travaux. 



APPENDICE 



De ce monde de comédiens célèbres, de cette société 
brillante qui, au xvm* siècle, a donné à Lyon tant de 
charmes, de ces faits dont quelques érudits ont gardé le 
souvenir, il ne reste qu'un seul vestige : c'est la maison de 
campagne qui appartint à M"*" Lobreau, l'ancienne direc- 
trice de nos théâtres, villa charmante, si bien nommée la 
FleuriCy aujourd'hui propriété de M. Fougasse, membre de 
la Chambre de commerce, président du conseil général des 
hospices et l'un de nos plus honorables négociants. 

La Fleurie existe encore, avec ses frais ombrages, sur le 
coteau de Sainte-Foy, au-dessus de ce chemin des Etroits, 
que les Confessions de Jean-Jacques Rousseau ont rendu 
célèbre. A l'époque où écrivait Rousseau, le parc, penché 
du couchant au levant, allait du château de Sainte-Foy 
jusqu'au Rhône. Aujourd'hui, fort diminué ^ il ne s'é- 
tend plus que de la Saône, — puisque le confluent des deux 
rivières, ayant été repoussé de deux kilomètres, la Saône a 
remplacé le Rhône, le long du chemin des Etroits, — il ne 
s'étend plus que de la Saône, disons-nous, jusqu'au nou- 
veau chemin de Sainte-Foy, à moitié flanc de la colline ; 
bien au-dessous du château détruit, au nord, il est borné 
par la demeure d'un savant orientaliste, M. Gaspard Bellin, 
juge au Tribunal civil, et, au midi, par le parc de M. Pe- 



122 ^ APPENDICE 



risse, le Nestor de la librairie, dont les jardins furent plantés 
par Le Nôtre et dont le château est un des plus magnifiques 
des environs de Lyon. 

La maison Lobreau, bâtie sous Louis XV, a été elle- 
même modifiée et l'aile habitée par l'ancienne directrice, du 
côté du levant, n'existe plus. Un- élégant châtelet, bâti sur 
les plans de M. Benoit, s'élève aujourd'hui au milieu du 
parc, au centre de beaux massifs d'arbres et de verdure, et 
ouvre ses fenêtres sur la ville, sur nos deux fleuves, la plaine 
du Dauphiné et la magnifique chaîne des Alpes, qui court de 
la Suisse à la Provence. Q.uant à l'habitation Lobreau, qui 
n'est plus en rapport avec le goût moderne, elle est aban- 
, donnée à l'extrémité nord du parc, découronnée d'un étage, 
^nutilée d'une aile, et n'a au-dessus d'elle qu^une petite 
,tour, qui lui donne un cachet d'originalité. Modeste comme 
laxiemeure d'un artiste ou d'un sage, elle a l'air de vouloir 
.se dérober aux regards,- plutôt que de se mettre en évi- 
dence comme les heureuses et coquettes habitations de 
l'opulence et du plaisir. 

Devant sa façade, s'étend une belle allée de charmilles, 
un peu éraondée aujourd'hui, mais autrefois touffue et qui 
a vu se promener jadis, sous ses arceaux ombreux, les élé- 
gants seigneurs, les hommes de lettres, les intelligentes 
et belles actrices .du xviii* siècle. Lekain, Fleury, Larive.y 
oubliaient leurs grands rôles et leurs grands airs, tandis que 
la Clairon, la Saint-Huberti, les Sainval s'y reposaient des 
compliments et des bravos, en cueillant des pâquerettes 
.ou en contemplant la grande nature dans une de ses plus 
admirables manifestations. 

A 'la suite de ces élégants et sympathiques personnages, 
se ,dresse le souvenir d'une figure qui fut plus tard terrible 
et qui n'était alors qu'aimable et intelligente. CoUot d'Her- 
bois, acteur aimé des Lyonnais, venait souvent aussi, lors- 



APPENDICE 125 

qu'il était pendcttihaire de M*"* Lèbreâu, se .promener avec 
sies camarades dàils ces paisibles aveaities. En admirant ce 
splendide paysage,- et la riche cité couvrant l'Europe de la 
soie de ses métiers^ le futur président dé la Convention sen- 
tait-il déjà, dans son cœur,' ces fenncnts: de jalousie et de 
haine qui, un jour, lui faisaient dire, au comité de Salut- 
Public : « Il ne faut rien xléportcr ; ! il faut détruire' tous les 
conspirateurs. Q.ue les lieux où ils sont détenus; soient mi'- 
înés, que la mèche' soît tôu^trarsîrikiméç,: pour les faire "sau- 
ter, si eux ou leurs partisans osentrencore conspirer contre 
la République. » Et à proplos de Lyon : « C'est à coups de 

foudre que la patrie doit frapper ses ennemis Tout 

ce que le crime et le vice avaient élevé sera anéanti et, sur 

les débris de cette ville superbe et rebelle le voyageur 

verra quelques monuments simples élevés' à la mémoire des 
amis de la liberté. » 

S'il est certain que le futur président de U Convention est 
venu, à diverses reprises, se distraire et se reposer au milieu 
de la société charmante qui fréquentait /^ F&wm, et si ses 
pas sont empreints assez profondément dans le sable de ses 
allées, pour ne jamais s'effacer, il est non moins avéré 
qu'un autre destructeur de Lyon, Couthon, parut aussi sous 
ces frais ombrages, mais dans des conditions tout à fait dé- 
sastreuses. Ce n'était pas, en effet, pour prendre du délasse- 
ment et du repos, comme Collet d'Herbois, que le terrible 
cul de jatte auvergnat se fit, à diverses reprises, porter pen- 
dant le siège à la Fleurie i c*était pour juger, par lui-même, 
si son oeuvré defdeîâtruction et de ruine avançait. 

Pendant que Dubois-Crancé dirigeait ^ensemble des opé- 
rations, de son quartier général, ai^de^sus de Saint-Clair, 
en vue du Rhône, Côûthon avait été - chargé d'enserrer 
la place, du côté du midi et, pour anéantir lesi quartiers 
de Perrache et de EeUecour, c'^était 'sut^ ies teirasses de 



121 APPENDICE 



la Fleurie qu'il avait dressé une de ses i'edoutables batteries; 

Des hauteurs de Sainte-Foy, qu'il habitait avec ses col- 
lègues Delaporte et Maignet, il se faisait porter tous les jours 
à la villa, d'où il pouvait suivre plus commodément 
les progrès de l'attaque, voir le ravage des boulets, la 
consternation des Lyonnais^ qui renonçaient à se défendre, 
et se repaître des plus désolantes scènes dont puisse gémir 
l'humanité 

Pour se distraire, les artilleurs de la batterie, dans leurs 
moments d'inaction, sans doute par manière de passe- 
temps,, s'amusaient, du bois de leurs écouvillons, à mutiler 
deux sphinx en pierre d'un très-bon style, qui, accroupis de 
chaque côté de l'escalier, gardent encore aujourd'hui le 
passage, entre l'allée de charmilles et les pelouses inférieu- 
res et montrent au promeneur ému des blessures qui n'on,t 
point été faites par le temps. 

Ainsi, après les échos joyeux, que de lugubres souvenirs 
se rattachent à la Fleurie ! 

Un fait encore, et non le moins douloureux, paraît s'y 
être accompli. 

La bibliotheque.de la ville de Lyon, fonds Coste, possède 
deux pièces capitales, qui ont trait au siège de notre mal- 
heureuse cité ; c'est l'acte de sommation des représentants 
du peuple aux Lyonnais, d'avoir à ouvrir leurs portes à l'ar- 
mée républicaine, sous peine d'une complète destruction. 
. Cet acte est double ; un seul exemplaire fut envoyé. 
. Le premier, du 7 octobre, écrit avec élégance et préten- 
tion, est de la main d'un secrétaire ou d'un fourrier. Outre 
te sceaVi en cire rouge des représentants du peuple, il porte 
Jes signatures autographes de Couthon, Delaporte et Mai- 
gnet, il est daté de Sainte-Foix (5/V), huit heures du matin; 
.il ordonne aux Lyonnais d'avoir à ouvrir leurs portes avant 
.dix heures.. Deux ou trois fautes d'orthographe le déparent. 



APPENDICE 125 

Il compte autant de ratures. Etait-il trop tard pour envoyer 
cette pièce? N*osa-t-on pas présenter aux Lyonnais une som- 
mation raturée? Quoi qu'il en soit, elle ne fut pas expédiée. 

L'autre, écrite entièrement de la main de Couthon, sur 
papier grossier, mais sans faute d'orthographe et sans rature, 
est également signée de Couthon, Maignet, Delaporte. Elle 
est également revêtue du sceau de cire rouge des représen- 
tants du peuple. Elle est écrite à la hâte, d'une main agitée 
et frémissante, comme si elle eût été formulée, non dans 
un cabinet, mais en plein air et aux ardeurs de la poudre; 
C'est la pièce authentique, celle qui fut présentée aux Lyon- 
nais consternés. Elle se termine par ces mots : « Au quar- 
tier général de Sainte-Foix (sic) le sept octobre 1793, Tan 
second de la République une et indivisible, à dix heures du 
matin. » 

Puisqu'une batterie avait été étabUe, par les ordres dé 
Couthon, dans cette fameuse allée de charmilles de la 
Fleurie, qui nouç interdit de supposer que Couthon, avide et 
curieux de voir la fin du siège, s'était fait porter sur ce point 
si favorable pour contempler les ruines de la ville fumante 
et que c'est là, dans cette allée, sur un tambour peut-être, 
ou sur la balustrade de la terrasse, que la terrible sbmmar 
tion a été écrite, pour annoncer aux Lyonnais terrifiés que 
si, à midi, toute résistance n'avait pas cessé, le bombarde- 
ment recommencerait jusqu'à ce que la ville fût anéantie. 

Si l'histoire exacte n'afiirme pas ce fait, il est permis 'de 
l'avancer à titre d'hypothèse, et tout peintre d^histoife 
pourra, sans être accusé de légèreté et de mensonge, 
représenter un groupe d'ofiiciers républicains autour de 
la batterie, Delaporte et Maignet avec une escorte, et 
Couthon, dans son fauteuil, écrivant la sommation aux 
Lyonnais, à l'abri des mêmes ombrages qui avaient vu na- 
guère Lekain, Larive. et Clairon. 



126 APPENDICE 

Cest avec ce mirage dans l'esprit, qu'on peut se prome- 
ner aujourd'hui encore, au milieu de ce parc où. rien n'est 
changé que les personnages. La tradition a conservé le ca- 
dre et les accessoires du tableau. A l'extrémité de Tallée de 
charmilles se voient toujours^ ainsi qu'au siècle dernier, les 
bouquets de peupliers dressant leurs colonnes de verdure. 
Si les arbres eux-mêmes ont péri, les groupes ont été con- 
sentes avec soin, tels qu'ils sont cités et décrits dans les 
actes de 16x3 et les écrits du temps. Leurs cimes élancées 
coupant toujours l'horizon et donnent, en s'élevant au- 
dessus des massifs voisins, le même charme saisissant qui 
faisait rêver les belles dames et les spirituels cavaliers à qui 
M"*Lobreau faisait les honneurs de sa retraite. 

Au delà des peupliers est la limite de la propriété ; mais, 
ce qui dénote un goût exquis de la part des propriétaires, 
la séparation qui court entre les deux parcs n'est qu'un 
simple buisson fleuri, barrière amicale, toute de convention, 
qui n'ôte pas la vue, n'arrête pas la pensée et n'oflâre aux 
yeux qu'une succession de bouquets d'arbres et de vertes 
pelouses, comme si on avait l'immensité devant soi. 

Au-delà de Belh-Rive^ l'opulente habitation Périsse, on 
aperçoit la Maison GrisCy illustrée par le séjour de deux 
éminents personnages dont Lyon a le droit d'être fier, 
Thierry, le statuaire, et Cailhava, le bibliophile si connu. 
Dans le fond, s'élèvent les collines dlrigny et plus loin en- 
core, au milieu des brumes et des nuages, les cimes célèbres 
du Mont-Pilat. 

Mais la Fleurie possède encore d'autres souvenirs et 
d'autres charmes. Sa plus séduisante attraction consiste en 
une galerie de portraits des principales actrices de la troupe 
de M"** Lobreau, et le bienveillant propriétaire du petit 
château ne refuse point d'admettre à la voir les visiteurs cu- 
rieux, qui en sollicitent la permission. 



APPENDICE r27 

Cette précieuse collection se compose de quatorze pas- 
tels. 

Douze de ces portraits, grandeur demi-nature, représen- 
tent les dames les plus fêtées, les étoiles, comme on dirait 
aujourd'hui, de la troupe de M™^ Lobreau. On retrouve 
le faire de l'école de Boucher, dans ces figures coquettes, 
un peu maniérées, qui ont posé avec le désir évident d'être 
trouvées jolies. L\me tient une fleur, l'autre prend son 
café ou son chocolat, toutes minaudent et roucoulent 
comme si un beau cavaHer leur contait fleurette. Malheu- 
reusement, le nom de ces beautés est inconnu : QjLiant à 
celui de l'artiste, on peut supposer que c'est Bréa, de Paris, 
qui a eu soin de joindre son adresse de peintre-encadreur 
au dos de chaque portrait. Artiste prudent et que la gloire 
ne grisait pas, Bréa ne dédaignait point de proclamer qu'il 
était aussi fabricant de cadres, heureux de joindre aux pro- 
fits que ses crayons lui donnaient, les bénéfices d'une plus 
modeste industrie. 

Mais, à côté de ces douze portraits, dont la principale va- 
leur vient des souvenirs qu'ils rappellent, on admire deux 
grands et beaux portraits, véritables œuvres d'art, signés 
Barois et datés de 1775 . 

L'un représente une jeune femme d'une rare beauté, 
d'une grande élégance, des plumes dans les cheveux, des 
diamants aux bras et au cou et revêtue d'un costume d'ap- 
parat, tel qu'on le portait sur la scène ou à la cour. 

Cette femme était-elle M"* Lobreau, M'^^ Clairon ou 
quelque autre célébrité du temps ? On ne pourrait le sa- 
voir, faute de meilleurs documents, qu'en comparant cette 
tête admirable aux collections de la bibliothèque nationale. 
A qui s'adresser? A M. le conservateur des estampes? 
Ce mystère peut et doit se révéler. 

L'autre portrait est celui d'un homme jeune et dis-» 



Ùngué, plus richement vêtu qu'un marquis t 
cour. La tête expressive n'est pas celle d'u 
gneur. Elle rappelle l'acteur qui voit, ebserv 
pénètre d'un personnage, joue les rois et les 
n'en est pas un. 

Qpel est celui de nos acteurs célèbres qui a laissé un tel 
souvenir i la Fleurie? Comme pour le portrait précédent, 
le mystère n'est pas insondable. Les deux portraits envoyés 
h. Paris seraient bien vite reconnus. 

Ces œuvres magistrales sont précieuses et devaient être 
signalées. On dit que le propriétaire de la Fleurie, homme 
d'esprit et de goût, veut donner à cette galerie une place 
-digne d'elle. C'est un service qu'il rendra aux arts de la 
peinture et du théâtre, comme i l'histoire de la cité, de 
notre chère cité, si heureuse quand on lui conserve les 
vestiges de son glorieux passé. 



TABLE 



I 

Pages 

L*Opéra à Lyon. — L'Académie Royalp de musique. — La salle 
de la rue du Garet. — La salle de Bellecour. — Le théâtre 
du Gouvernement; — Direction de Legay et de M^e Des- 
niarets 3 

II 

Le Théâtre des Terreaux. — L'Académie des Beaux-Arts et le 
Concert des Cordeliers. — Les nouveaux directeurs : Maillefer, 
Monnet, Préville. — Le carnaval de 1750. — Artistes lyon- 
nais. — Le plan de Soufflot 11 

III 

Inauguration du nouveau Théâtre. — Clairon et Lekain. — 
Brizard, François Auge, Grandval. — Les Fourberies de Scapin 
aux G|Bnds- Capucins. — Un succès de larmes. — Les Affiches 
de Lyon. — Direction de M™e Lobreau. — Fleury, Larive, 
Mlles Sainval 24 



IV 



La Vestale. — J.-J. Rousseau à Lyon. — Le Concert, de 1760 
à 1770. — Horace Coignet. — Première représentation de